Le souvenir est si lointain qu’il ne reste plus qu’une sensation. La chaleur de Panama, ce printemps 1989. Le ciel et surtout le soleil qui tombaient sur la tête comme une coulée d’acier en fusion. Je ne savais rien de ce pays où les hasards de l’actualité – des émeutes anti-­Noriega – m’avaient conduit précipitamment. Ma famille, mes amis, avaient eu ce même cri d’envie : si tu vas à Panama, alors rapporte un panama ! C’était curieux, ce nom propre changé en objet, ce pays en forme de chapeau, moi qui le voyais plutôt épouser les courbes d’un dollar. Sitôt sur place, la nuque cassée pour contempler jusqu’à leur sommet les gratte-ciel de Panama City poussés tels des champignons hallucinogènes, je me mis en quête du fameux couvre-chef. Pour découvrir stupéfait que si le panama était un chapeau de légende, il existait surtout une légende du chapeau. Je ne tardai pas à apprendre qu’à Panama, on ne travaille pas du chapeau. Des Indiens d’Équateur, et seulement eux, fabriquent ce sombrero unique au monde qui vous garde la tête et les idées au frais. N’en croyant pas mes oreilles, je fus initié à ce secret de polichinelle : des ouvriers creusant le canal de Panama dans les années 1880 avaient bel et bien porté ce « panama », mais le nom était un faux, comme pas mal de choses dans ce pays, les papiers, la monnaie, les pavillons maritimes… Le panama, qu’on se le dise, doit son nom à la fibre de jeunes pousses d’un palmier – connu sous le nom de carludivia palmita –prospérant en Équateur, dont on tire la paja toquilla, une paille souple et résistante… Moralité : le panama est un sombre héros de l’Équateur. 

 

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