« En France, l’accompagnement est avant tout médical »
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Qu’est-ce qui caractérise la vieillesse en France ?
La vieillesse est une construction sociale généralement définie par le statut de retraité. C’est lui qui délimite cette période de la vie et lui donne des contours. Au sein même de la vieillesse, il existe une variété de profils qui tend à s’étirer au fur et à mesure que la vie s’allonge. La perte d’autonomie constitue donc un autre marqueur. En 2016, on comptait en France 12,5 millions de personnes âgées de 65 ans et plus, et 6,2 millions de 75 ans et plus, soit respectivement 18,8 % et 9,4 % de la population française. Notons que, depuis une quinzaine d’années, a émergé une définition plus marketing de la vieillesse, directement liée à la solvabilité des personnes. Cette catégorie, les « seniors », regroupe les jeunes retraités en mesure de consommer.
Sommes-nous tous égaux face à la vieillesse ?
Il existe de réelles fractures sociales et territoriales parmi les personnes âgées. La première est générationnelle : les plus de 85 ans sont moins riches, ont connu la guerre et des conditions de travail plus rudes, comparativement aux nouveaux retraités. La deuxième est une inégalité de sexe : d’un côté, les femmes ont perçu un revenu moindre ; de l’autre, les hommes meurent plus prématurément. Une troisième inégalité – la principale et la plus refoulée à mon sens – repose sur l’origine sociale : les classes populaires meurent plus vite, sont plus pauvres et ont tendance à souffrir davantage d’isolement. Ce qui nous mène à une autre fracture, territoriale cette fois : les plus grandes inégalités – en matière de revenu, de patrimoine, de lien social et, par ricochet, de perte d’autonomie – se trouvent en ville, où résident les trois quarts des personnes âgées.
En quoi consiste le système de prise en charge français ?
En France, l’accompagnement – terme que je préfère à « prise en charge » – est avant tout médical. Il repose sur les services hospitaliers et les soins de ville (généralistes, masseurs, kinésithérapeutes, pharmaciens), qui représentent une masse énorme d’activités. Les plus de 75 ans vivant à domicile, soit 9 personnes sur 10, comptent sur les services de soins infirmiers et d’aide à domicile, ainsi que sur l’aide informelle, souvent assurée par le conjoint ou les enfants. Certains, préférant vivre groupés, choisissent d’intégrer une « résidence autonomie » ou une « résidence services ». Pour les personnes les moins autonomes, l’établissement d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes (Ehpad) constitue une autre forme de prise en charge. En 2017, l’âge moyen d’entrée en Ehpad était de 85 ans et 2 mois, mais 4 % d’hommes et 5 % de femmes âgés de 80 ans y vivent. À 95 ans, ces proportions s’élèvent respectivement à 27 % et à 42 %.
Que représente la part de l’aide informelle dans notre système de prise en charge ?
Si le travail informel à destination des personnes âgées en perte d’autonomie était monétisé, on estime que le coût global de cette aide serait de 14 milliards d’euros. Ces aidants naturels viennent généralement en complément d’intervenants professionnels comme le médecin généraliste ou les aides soignants. Mais au fil du temps, l’usure des aidants fait que l’on bascule vers le milieu hospitalier ou l’Ehpad. Souvent, tout se joue la nuit. En tant qu’aidant, si vos nuits sont difficiles, entrecoupées de déambulations nocturnes de la part de votre conjoint ou parent, vous tenez quelques mois au plus.
Quelles sont les grandes failles de notre système de prise en charge ?
Je n’ai aucun scrupule à dire que la médecine libérale constitue l’une des plus grosses failles de notre système actuel. Le fait que les médecins, dont l’apprentissage est payé par la collectivité, puissent s’installer où bon leur semble, est un problème. Ce système induit un manque de ressources professionnelles sur le territoire, accentué par une désaffection des métiers d’infirmière, d’aide-soignant et d’aide à domicile. Les inégalités en matière d’accompagnement sont aussi dues à la place croissante accordée aux opérateurs commerciaux. Entre 2008 et 2015, la moitié des maisons de retraite créées étaient des Ehpad commerciaux, implantés en ville pour les trois quarts, et visant un taux de rendement entre 5 et 12 %. Cette tendance, non régulée par l’État, accentue progressivement le contraste entre une offre premium, destinée aux personnes âgées les plus aisés dans les villes et sur le littoral d’une part, et une offre a minima dans les autres territoires. Je terminerai avec un quatrième écueil : le manque d’intérêt de certains secteurs comme ceux de la culture, du tourisme et des loisirs pour ce public qui représente, dans certaines intercommunalités, quasiment la moitié de la population. Il faut que l’offre puisse s’adapter aux personnes âgées à déficience sensorielle. L’accompagnement, c’est aussi cela.
Quels sont les grands défis d’aujourd’hui et de demain face au vieillissement ?
Ils sont multiples. Une onde de vieillissement se dirige des villes et des campagnes vers les espaces périurbains et les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Dans ces quartiers, encore peu marqués par le vieillissement, va bientôt se poser la question de la place et de l’accompagnement d’une population âgée davantage touchée par le chômage et les divorces. Des poches de précarité vont émerger.
« Plus vous médicalisez une personne âgée, plus vous la catégorisez et plus vite celle-ci va décliner »
On assiste aussi de plus en plus à une vieillesse hors-sol. Des retraités partent s’installer en Dordogne, dans la région PACA, ou autour des Sables-d’Olonne pour profiter d’un cadre de vie sympathique, propice au sport, aux sorties à la mer et au cinéma. Mais, au moment où cette population perdra son autonomie, sa vulnérabilité se trouvera renforcée : en raison de leur installation récente, ces personnes auront moins eu l’occasion de développer un réseau de solidarités informelles (amicales notamment). Ces espaces vont être touchés de plein fouet par le problème.
Un autre défi, qui touche l’ensemble de la population, concerne la fracture générationnelle dans le domaine de l’habitat. Il existe un réel écart entre les conditions d’habitation des retraités et celles des autres générations, en faveur des premiers. Les familles sont aujourd’hui obligées de s’éloigner de 20 à 30 km. C’est l’une des conséquences préoccupantes du vieillissement.
Quelles pistes proposez-vous pour améliorer notre système d’accompagnement de la vieillesse ?
Pour oxygéner les Ehpad ou les services d’aide à domicile, il faut des moyens financiers. L’une des clés de voûte, ce sont les personnes âgées elles-mêmes. C’est une catégorie d’âge qui, globalement, se porte très bien malgré l’émergence de ces poches de pauvreté. Même si la pension de retraite représente environ 70 % du montant du dernier revenu perçu, 75 % des personnes âgées sont propriétaires de leur résidence principale et 90 % ont fini de payer leurs crédits à 65 ans. Sur 1 600 milliards d’euros d’épargne française, 900 milliards sont détenus par des retraités. Je crois qu’il faut maintenir et conforter le système de solidarité transgénérationnelle, mais réfléchir aussi à la part que cette catégorie d’âge peut elle-même apporter. Quand on sait que 27 % des retraités possèdent une résidence secondaire, peut-être peut-on imaginer quelque chose autour de l’héritage.
De quels pays la France pourrait-elle s’inspirer ?
Le Canada est un exemple particulièrement intéressant pour la France. Son système, moins médicocentré, repose sur une notion de reconnaissance juridique et sociale autant qu’affective. Plus vous médicalisez une personne âgée, plus vous la catégorisez et plus vite celle-ci va décliner. Paradoxalement, les personnes très intégrées au système de soin vieillissent prématurément et meurent plus rapidement. D’autres pays comme la Suisse et l’Allemagne l’ont déjà compris, et la France commence à proposer des outils intéressants. La loi de janvier 2002 sur les droits des personnes dans les systèmes de soins par exemple, donne la possibilité à toute personne âgée entrant en maison de retraite ou étant prise en charge à domicile de rédiger un « projet personnalisé ». C’est un bon moyen de s’approprier le soin, de s’extraire d’une position de passivité infantilisante, mais les personnes âgées s’en emparent encore trop peu souvent.
Propos recueillis par MANON PAULIC
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