Il n’y allait pas de main morte, en 1976, l’éditorialiste du Monde Pierre Viansson-Ponté. Dans une Lettre ouverte aux hommes politiques (Albin Michel) où il apostrophait sans fard les dirigeants et les opposants de l’époque – Mitterrand, Mendès et Rocard, Giscard, Debré, Poniatowski et Marchais –, la flèche décochée à Jacques Chirac trahissait l’impression glaçante que laissait aux observateurs le futur président. « Votre image, commençait Viansson, est parfaitement nette : 1. Arriviste forcené ; 2. Cassant et autoritaire ; 3. Graine de dictateur. » Et de poursuivre : « C’est brutal, c’est cruel aussi, je le sais bien, d’autant que vous avez le travers commun à beaucoup d’hommes politiques : vous voudriez être aimé. »

Plusieurs décennies après ce jugement sévère, pour ne pas dire lapidaire, l’image de l’intéressé s’est sérieusement infléchie. Jacques Chirac, dont la mémoire a été célébrée dans tout le pays et au-delà depuis l’annonce de son décès le 26 septembre, était d’abord un démocrate. Il le montra en maintes occasions quand, le Front national poussant sa corne jusque dans le camp de la droite républicaine, il refusa toute alliance électorale avec le parti de Jean-Marie Le Pen. Forcé d’affronter ce dernier dans un duel au sommet le 21 avril 2002, il avait accusé le coup d’un triomphe amer face à un adversaire qui ne lui inspirait que mépris et dont il ne partageait en rien les idées.

D’où vient alors que le bilan de Jacques Chirac paraisse au bout du compte si mince, si décevant même, sans pour autant mériter le qualificatif de « roi fainéant » dont son successeur Nicolas Sarkozy l’avait affublé ? C’est que l’ancien maire de Paris, comme nous le laisse penser Michèle Cotta dans un texte très personnel, est passé à côté de son destin. Voilà qui peut sembler curieux pour un homme qui fut deux fois Premier ministre et présida aux destinées de la France douze ans durant. « N’aurait-il pu, demande la journaliste, lui qui parlait d’un “travaillisme à la française”, qui s’est fait élire en 1995 pour réduire la “fracture sociale”, donner un autre éclat à sa présidence ? » Au fond, lui qui se voyait en homme de gauche – mais farouche adversaire des partis de gauche –, n’a pu transcender les lignes politiques traditionnelles pour rebattre les cartes. Audacieux dans la conquête mais prudent dans l’exercice (laminant) du pouvoir, Chirac n’a pas utilisé le boulevard qui s’était ouvert devant lui au printemps 2002. À ses proches, il avouait n’avoir pas su faire. Cet échec ne l’a pas empêché d’atteindre cette ambition que lui prêtait Pierre Viansson-Ponté : être aimé. 

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