« Une minute peut blesser un siècle. » En ces quelques mots de L’Année terrible, Victor Hugo, autre monument national, avait saisi ce pouvoir de l’instant à défier le temps. Devant l’émotion qui s’est emparée du pays, et bien au-delà, après l’incendie de Notre-Dame, il nous a paru nécessaire de consacrer un numéro du 1 à cet événement sans pareil. Celle qu’on croyait devoir durer toujours, sans fixer à ce toujours aucune limite temporelle, a subi le plus violent préjudice de sa longue histoire. Et si ses murs de pierre sont restés debout, c’est un symbole quasi charnel qui a brûlé, une cathédrale faite personne humaine, comme le dit l’historien Yann Potin dans l’entretien qu’il nous a donné, universalisée et incarnée tel un être vivant par la geste littéraire du même Hugo.

Mais qu’avons-nous perdu en assistant impuissants au spectacle de ces hautes flammes qui ont dévoré la forêt de Notre-Dame, arbres presque millénaires dont était composée pour moitié la charpente de l’édifice ? Nul, sauf quelques privilégiés, n’avait jamais vu ce squelette de bois soudain changé, aux yeux de tous cette fois, en torche vive. Dans cette archive géante consignant nos mémoires multiséculaires, combien de bénédictions d’armées, de sacres royaux, de funérailles de monarques républicains – de Gaulle, Pompidou, Mitterrand –, combien de Te Deum, à l’image de la cérémonie de la Libération où on tirait dans la cathédrale quelques instants encore avant le début de l’office – bref, combien de hauts faits furent magnifiés et même inscrits dans la cire de notre cerveau collectif, jusqu’à associer Notre-Dame non plus seulement à Paris ni même à la France, mais au monde libre, à ce qui reste de sacré dans l’esprit de la République.

Le temps viendra de la réparation, de la reconstruction, des débats d’experts sur la meilleure façon de respecter le passé avec, qui sait, des matériaux d’avenir. Mais pour l’heure, puisqu’une trêve s’est imposée devant les cendres de Notre-Dame, il faut s’arrêter devant ce « kilomètre zéro » qui ponctue son parvis, le point zéro de toutes les routes de France au départ de la capitale. Quel chemin cette catastrophe va-t-elle nous inciter à parcourir ? Quelle direction nouvelle faudra-t-il prendre ensemble, nous la France, nous les Français ? Au moment où le pays traverse une crise existentielle, on peut voir aussi dans l’émotion réelle de tout un peuple le désarroi que laisse à notre société, mue par l’instantané, la mort symbolique du temps long. Le deuil des choses qu’on croyait éternelles. 

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