Chilla

Je n’ai pas eu le temps d’entretenir un quelconque rêve de monter sur scène car la première fois que c’est arrivé j’avais 6 ans. Je passais une audition de violon, une expérience un peu anxiogène puisqu’elle était liée au fait d’être jugée. En réalité, la scène a été présente de manière régulière tout au long de mon enfance, à l’école de musique, lors les spectacles de fin d’année ou au centre de loisirs. J’y prenais du plaisir quand il ne s’agissait pas de passer un examen. Au fil des ans, il y avait pour moi quelque chose d’assez naturel à monter sur scène, mais y passer ma vie n’était clairement pas un objectif. C’est à l’âge de dix ans que les choses ont changé. Ma mère faisait partie d’une comédie musicale amateur. Un jour, je l’ai accompagnée et il s’avère que j’ai dû chanter. Je me suis retrouvée soliste dans ce spectacle. J’ai alors découvert ce qu’est une tournée : les loges, les dates multiples, etc. L’anxiété a laissé place à un stress positif. C’est là que je me suis dit : « C’est vrai que c’est un kiff quand même ! »

Plus tard, avant même d’être repérée grâce à mes productions et de me lancer en tournée, j’avais déjà fait pas mal de concerts d’open mic [micro ouvert]. J’avais donc cette habitude de me retrouver face à un public hyper éclectique et de ne pas trop m’attendre à ce qu’on m’attende. Même quand mes premiers morceaux sont sortis, je faisais encore beaucoup de premières parties. Il fallait convaincre les gens. J’étais tiraillée entre les coplateaux avec AlKapot et les ouvertures de concert de Louane : deux salles, deux ambiances, à l’image de la « schizophrénie » de ma musique. Je force le trait, bien sûr, mais en France on dissocie énormément les genres musicaux, alors que tout est lié. L’avantage de mes projets, c’est que je peux être programmée sur des festivals où joue Soprano et d’autres où chante Juliette Armanet. Je pense que j’aurai toujours de quoi attiser la curiosité.

Comme sur un tapis de gym ou au patinage artistique, je présente un spectacle dans lequel il va falloir placer les bonnes figures au bon moment.

Monter sur scène est un moment solennel : je veux donner la meilleure performance possible. Comme sur un tapis de gym ou au patinage artistique, je présente un spectacle dans lequel il va falloir placer les bonnes figures au bon moment. Je retrouve un peu ce rapport que, petite, j’avais à l’audition et me répète : « Il ne faut pas que je me plante. » Seulement il y a une énorme différence : on ne vient pas juger ma technique sur des œuvres qui ne m’appartiennent pas et sur un instrument que je maîtrise mal. Face à mon public, je détermine mes musiques, mon écriture, ma façon de présenter ma personnalité – même si on est nu sur scène, c’est indéniable. Je ne sais pas forcément ce que les gens attendent de moi, mais je sais ce que j’attends de moi : susciter des émotions, faire sourire, voyager, partager un bon moment tout en réussissant à faire passer des messages.

Selon l’humeur, j’arrive plus ou moins détendue. J’impulse une certaine énergie et la suite dépend du public. S’il est hyper expressif, je n’ai plus qu’à laisser libre cours à mon envie de transmettre. En revanche, face à une salle moins réceptive, c’est parfois compliqué et j’en viens à intellectualiser : je chante tout en réfléchissant à la façon dont je peux transformer cette énergie, au risque de passer à côté de certains moments d’interprétation. 

 

Ma première fois aux Francos

Je n’ai joué qu’une seule fois aux Francofolies, et c’était sur la scène de La Coursive, en 2017 ou 2018. Je me souviens que c’était le tout début de ma tournée, l’une de mes premières expériences de festival. Ce jour-là, j’étais seulement en formation DJ-voix et j’avais un DJ remplaçant. Le challenge, c’était d’aller chercher les gens avec des titres hyper récents, un univers pas encore très travaillé, dans un environnement – le théâtre – où des artistes aguerris venaient pour proposer quelque chose de très organique. Cela s’est pourtant bien passé, j’ai été chaleureusement reçue et j’ai adoré le village artiste. J’apprenais mon métier. Aujourd’hui, j’ai peut-être un peu plus d’expérience et d’assurance, mais je continue à apprendre sans cesse.

Dernière sortie

Ego, 2022

 

Claude

Mon premier concert, le 28 novembre 2022 au Popup !, une petite salle parisienne qui accueille de nombreux artistes débutants, était une expérience fantastique. C’était trois semaines environ après la sortie de mon premier morceau, « Bientôt la nuit ». J’étais déjà très angoissé à l’idée de monter sur scène plus de quatre jours avant l’événement ! Mais cela s’est bien passé, les gens ont apprécié, je crois. Ça a dédramatisé l’aspect live, qui était pour moi une grosse inconnue.

L’esthétique que je développe dans mes clips est difficile à retranscrire sur scène, alors je m’attache à garder une attitude qui colle avec cette imagerie curieuse, bizarre, qui me caractérise. Je ne sais pas si je fais du bon travail mais j’essaie. C’est une démarche de long terme, et j’en suis seulement à mes premières scènes. Pour le moment, sans ma performance, je n’ai pas de set design, de scénographie qui permettrait de recréer une atmosphère vraiment curieuse. Cela passe notamment par les prises de parole entre les morceaux. J’essaie d’être le plus honnête possible. Je parle beaucoup, c’est presque un défaut ! Mais cela me permet aussi de dédramatiser l’exercice. Raconter ma vie, raconter l’histoire des morceaux, faire des vannes, cela rend la chose plus simple et plus conviviale. J’essaie aussi de regarder les spectateurs, de faire en sorte qu’ils s’investissent, qu’ils s’impliquent dans la musique. En tant que spectateur de concert, je suis immédiatement pris quand je croise le regard du chanteur.

Quand le chanteur ou la chanteuse pète un câble sur scène, cela permet à tout le public de la salle de s’autoriser ce « lâcher-aller ».

J’admire la présence scénique du rappeur suisse Makala ou de Bonnie Banane, qui peut débarquer sur scène dans des costumes absurdes et imposer un personnage grâce à son charisme. Ça me paraît dingue. J’apprécie aussi beaucoup Flavien Berger, c’est un modèle musical mais aussi scénique. Entre les morceaux, il interagit avec le public et crée une atmosphère très bienveillante, mais aussi absurdement drôle. Le groupe de rock américain des années 1980 Talking Heads a aussi des pas de danse qui leur sont très propres, c’est fascinant.

Je constate qu’il y a du progrès depuis mes tout premiers concerts. Je m’autorise de plus en plus de choses, notamment dans la gestuelle, la manière d’investir la scène. Je travaille aussi sur la gestion et l’économie de ma voix, surtout pour un morceau comme « Bientôt la nuit », car je dois à la fois danser et littéralement crier pour le refrain. J’use relativement vite ma gorge, ce qui peut rendre la suite du concert plus difficile. C’est un travail à part entière.

 

Ma première fois aux Francos

J’étais aux Chantiers des Francofolies cette année, et on m’a beaucoup aidé à me lâcher sur scène. Des coachs nous accompagnent et nous aident à nous sentir plus à l’aise. J’ai travaillé avec une chorégraphe qui m’apprenait à utiliser toute la scène. Parfois, on mettait le morceau et je devais constamment être en mouvement, pendant qu’elle me suivait en me regardant droit dans les yeux et en dansant à reculons. C’est un moment tellement absurde que cela aide à céder, et on est ensuite beaucoup plus à même de faire la même chose devant son public. Quand le chanteur ou la chanteuse pète un câble sur scène, cela permet à tout le public de la salle de s’autoriser ce « lâcher-aller ». Ça rend les concerts meilleurs.

Dernières sortie

Bientôt la nuit et Les Accords de Lenny, 2023

 

Ben Mazué

Je suis incapable de dater précisément mes premiers pas sur scène car les choses se sont faites graduellement, de manière très progressive et lente, depuis les rendus de juin des différentes écoles de musique où j’étais petit, jusqu’aux Zénith, en passant par les fêtes de la musique et les bars où je jouais, encore en amateur.

Situer mes débuts sur scène revient à me demander quand j’ai eu le trac pour la première fois, or on a le trac très tôt dans la vie. Cette sensation assez primaire reste la même au fil des ans, mais on apprend à la gérer différemment. On essaie de ne pas se mettre trop tôt en condition pour ne pas avoir à supporter trop d’heures d’appréhension. On se rassure en pensant qu’on l’a déjà fait et que ça s’est bien passé.

Je me suis inspiré du théâtre, des conteurs en général, des humoristes, notamment de leur façon d’occuper l’espace, de gérer les silences, d’accueillir les applaudissements aussi.

Je crois que j’ai pleinement trouvé mon identité sur scène et que les portes se sont ouvertes sur le plaisir d’être un artiste quand j’ai commencé à raconter des histoires. Un concert prend souvent la forme d’un récital, d’une somme de chansons interprétées par un ou des musiciens qui ont beaucoup de charisme. Ce que je propose est différent : je raconte une histoire dans laquelle il y a des chansons. Le jour où j’ai trouvé ce format, j’ai trouvé ma manière de faire. Avant, je sentais que j’avais quelque chose à faire sur scène, mais je ne trouvais pas exactement quoi. Par ce canal, j’ai la sensation d’avoir les armes pour dire ce que j’ai envie de dire, transmettre les émotions que je veux faire passer et surtout – parce que c’est tout de même l’essentiel – partager avec le public un bon moment, ou plus exactement un moment intense. Je me suis inspiré du théâtre, des conteurs en général, des humoristes, notamment de leur façon d’occuper l’espace, de gérer les silences, d’accueillir les applaudissements aussi. Par exemple, j’ai décidé d’avoir mes deux mains libres, comme dans un seul en scène – ce qui ne m’empêche pas de chanter de temps en temps dans un micro, quand je sens que le moment est particulièrement musical.

La Victoire de la musique que j’ai reçue en 2022, dans la catégorie du meilleur concert, a été un immense bonheur. D’abord, parce que la scène est la raison pour laquelle je fais de la musique. Ensuite, parce que c’était plutôt inespéré : j’ai été récompensé à 41 ans, alors que je jouais depuis déjà dix ans. Quand on se fait à l’idée que ce ne sera jamais pour nous, c’est d’autant plus un cadeau quand cela arrive.

Il fallait choisir une chanson pour la cérémonie. J’allais passer à la télé à 20 h 50 et c’était une grande occasion de faire découvrir ma musique à plein de gens. Je voulais également honorer le prix, me montrer le plus créatif et généreux possible. Je savais qu’il y aurait des artistes qui présenteraient des installations d’écrans magnifiques, des esthétiques sublimes, d’autres qui allaient mettre une ambiance incroyable avec des chansons hyper dansantes. Je me suis demandé quel était mon créneau à moi, ce que j’avais envie de proposer comme porte d’entrée dans mon univers musical. J’ai choisi la chanson « Des nouvelles » parce que ce morceau, cette lettre, me ressemble. On ne préconiserait pas a priori de chanter une chanson piano-voix qui parle du deuil dans ce genre d’émission. On s’attend à quelque chose de plus joyeux. Mais en vérité, il faut faire ce qui nous ressemble le plus. 

 

Ma première fois aux Francos

J’ai toujours beaucoup de bonheur à venir à ce festival. C’est le premier qui m’a soutenu par l’intermédiaire du Chantier des Francos. C’est la première fois que j’ai senti l’intérêt de gens dont c’est le métier. Ils m’ont tenu la main pour que j’arrive à montrer ce que je savais faire. Ils m’ont programmé sur tous mes albums, et à chaque fois ç’a été un moment charnière de ma tournée parce que c’est un événement où l’on rencontre énormément de professionnels, que c’est une grande scène, complète, ce qui est rare quand on commence. Il ne faut donc pas se louper. Je me rappelle qu’une année, je n’avais pas de concerts et ils m’ont proposé de meubler musicalement entre deux artistes sur la scène Saint-Jean-d’Acre. En l’occurrence, c’était juste avant Gad Elmaleh. C’est un souvenir assez inoubliable, parce que c’était assez périlleux. On intervient, sans balance, entre deux artistes, les gens vont chercher des bières et c’est facile d’être complètement ignoré. Avec Clément Simonet, on a relevé le défi. Il fallait jouer un quart d’heure et on a réussi à aller chercher le public. J’ai pris une photo – que j’ai toujours chez moi – au bout du proscenium avec toute la foule derrière moi. Ça faisait du monde quand même ! Le problème, c’est qu’on ne s’est pas rendu compte qu’on n’avait pas du tout joué un quart d’heure, mais vingt-cinq minutes… Chose absolument proscrite dans les festivals, et surtout sur la grande scène où il n’est pas question de dépasser d’une seule minute, surtout quand on n’est même pas programmé ! J’ai quand même été réinvité…

 

Dernière sortie

Paradis, 2020 (rééd. 2021, avec trois titres inédits) et, avec Gaël Faye et Grand Corps Malade, Éphémère (2022)

 

Zaho de Sagazan

Je garde un très bon souvenir de mon premier concert au Trianon, en première partie de Mansfield.TYA, en octobre 2021. Je me sentais au bon endroit. On peut avoir l’impression de faire le clown devant des gens, mais j’ai beaucoup aimé ça, très vite. En sortant, j’ai ressenti l’envie pressante de remonter sur scène, d’aller beaucoup plus loin. J’ai immédiatement perçu dans le live une possibilité d’expression et d’expérimentation immense. Je n’aime pas figer les choses, c’est un aspect de la composition de mon premier album qui me faisait peur. Le live, c’est aussi un moment de partage durant lequel la musique prend son sens ! Lorsque l’on voit cent personnes sourire devant soi, c’est palpable – avoir des likes sur Instagram, ça ne fait pas du tout le même effet.

J’ai la chance d’être sur scène avec deux très bons amis, Tom Jeffrey, qui m’a suivie depuis le début, et Alexis Delon, qui a fait l’album avec moi. Ils me connaissent par cœur, je leur fais entièrement confiance. On utilise des synthétiseurs modulaires, ces instruments qui ont la particularité de ne jamais reproduire exactement le même son. C’est toujours une improvisation, chaque live est forcément différent.

Je pensais devoir toujours prouver que ma musique valait le coup d’être écoutée. 

Durant mes premiers concerts, j’étais un peu comme un piquet, je ne bougeais pas beaucoup. Petit à petit, j’ai appris à me laisser aller, et à l’apprécier. J’ai la chance d’avoir une grande sœur danseuse, elle m’a beaucoup appris ! Il nous arrive de travailler ensemble le week-end, d’aller en salle de danse et d’improviser, sans suivre de chorégraphie particulière. Mais j’ai aussi fait six ans de danse, quand j’étais jeune, j’ai toujours beaucoup dansé dans ma chambre. Après plusieurs représentations, j’essaie d’aller plus loin dans le travail sur scène, d’améliorer mon cardio, de danser en fonction des lumières… Le travail du live est infini.

J’ai toujours été assez à l’aise avec le public. Dès le premier concert, je regardais les gens dans les yeux. Je n’ai jamais été gênée par cela. Même face à ceux qui parlaient et avaient l’air de s’ennuyer, cela m’amusait presque. Je me mettais au défi de leur faire aimer mes chansons. Il y avait peut-être moins de pression. J’ai fait plus de soixante dates sans avoir rien sorti, personne ne me connaissait, j’étais souvent en première partie d’autres artistes. Et depuis la sortie de mon album, les gens viennent me voir sur scène en aimant déjà ma musique, crient mon nom avant que j’entre… J’en arrive au point où les gens chantent, ce qui m’impressionne beaucoup. Mon single « Tristesse », par exemple, est mon morceau le plus intense en live, mais pendant longtemps mon public ne le comprenait pas, j’étais un peu la « folle dingue » qui se bat seule contre la tristesse, les gens me regardaient faire. Maintenant, ils chantent avec moi, on se bat ensemble. La lecture des morceaux change. Je n’avais jamais imaginé cela. Je pensais devoir toujours prouver que ma musique valait le coup d’être écoutée. Maintenant, j’essaie de faire encore mieux, c’est une autre énergie. 

 

Ma première fois aux Francos

J’ai beaucoup aimé les Chantiers des Francos, et je me rappellerai longtemps cette semaine. On a beaucoup travaillé, on s’est fait des amis… Je garde aussi un souvenir très intense du festival des Francofolies de l’année dernière. J’avais trois chansons à interpréter sur la grande scène, je devais tout donner en trois minutes, devant 20 000 personnes, et c’était mon premier festival en plein air. J’étais extrêmement stressée, terrifiée même, car je savais que ma famille était dans le public. J’ai tout donné, et une petite magie s’est opérée. J’ai été bluffée par la sympathie et la bienveillance de ce public, qui, au bout du troisième morceau, entamait les chœurs avec moi, alors qu’ils ne connaissaient pas mes chansons auparavant. C’est aussi la fois où j’ai, selon moi, donné la meilleure interprétation de « La Symphonie des Éclairs ». J’ai vu les vidéos, et depuis, je n’ai jamais réussi à la chanter aussi bien, même pendant l’enregistrement du disque.

 

Dernière sortie

La Symphonie des éclairs, 2023

 

Deluxe

Deluxe, dès 2007, c’est cinq garçons qui jouent dans les rues d’Aix-en-Provence. Moi, Liliboy, je les rejoins un petit peu plus tard. Nos débuts se font donc à 100 % sur le bitume, que j’estime être une scène à part entière. Il faut y déployer une énergie et un son particuliers pour capter l’attention des passants, les alpaguer alors même qu’ils ne connaissent pas le groupe. En 2011, nous n’avions pas encore sorti notre premier EP que nous avons goûté à un festival qui s’appelait Natural Games et se tenait à Millau, c’était notre première grande scène. Nous qui passions nos mercredis et samedis après-midi à jouer sur le cours Mirabeau, nous nous sommes tout à coup retrouvés à jouer devant un public de dix mille personnes qui bougeait, dansait, partageait avec nous. C’était incroyable, on se sentait voler. Au fond, c’était exactement comme dans la rue, mais en amplifié. C’est drôle, maintenant, c’est le contraire : quand on retourne de temps en temps dans la rue, on est bluffés de voir que ce qu’on propose sur les grosses scènes fonctionne encore en petit comité. Quand on enchaîne de grands concerts où on est de plus en plus calés en termes d’efficacité technique et de confort, c’est une vraie joie de retrouver ensuite un son très acoustique et un peu brut en jouant en ville. C’est ce qu’on appelle les « tournées sauvages » – qui le sont d’ailleurs de moins en moins, car il est de plus en plus nécessaire de demander des autorisations. On s’installe dans la rue pour faire un maximum de bruit, mais avec un minimum de matériel. Il s’agit surtout d’une mise en danger : on choisit des endroits où le public n’est pas forcément acquis et où il peut nous envoyer des tomates… et on adore ça ! C’est l’ultime plaisir quand on peut se permettre de passer d’un espace à l’autre, de nuancer et de ne jamais se lasser.

Plus on avance dans la nuit, plus il faut être électrique pour maintenir la tension. 

Notre spectacle est né de la multiplicité de nos goûts et de nos personnalités. Il s’est construit au fur et à mesure, à force de jouer ensemble. Nous avons bien sûr des modèles communs. Mathieu Chedid par exemple est une grande inspiration, son sens de la scène est époustouflant, il ne se bride en rien et nous donne envie d’aller dans tous les sens. Mais on adore aussi des figures comme Bruno Mars, Anderson .Paak, ou Beyoncé. Lorsqu’on fait deux représentations qui se ressemblent, on est vite lassés. On a toujours envie de faire évoluer le spectacle, de l’emmener un peu plus loin. Dans des salles immenses comme les Zénith, de nombreuses possibilités s’ouvrent de par l’étendue et la technicité du lieu. Sur la dernière tournée, on s’est dit : « Pourquoi de pas voler dans les airs ? » On a embarqué une équipe de vol avec laquelle on aime beaucoup travailler dans le Sud de la France, et c’était parti ! Une nouvelle façon de prendre possession de l’espace s’offrait à nous. Et c’est avec cette même envie d’exploiter tout l’espace possible que nous descendons jouer au milieu du public. 

De manière générale, on évite de partir dans de grands discours pendant les concerts, nous sommes là pour faire de la musique en tant que groupe, entité, pas pour donner nos opinions personnelles. On prend malgré tout beaucoup la parole pour vérifier que la connexion avec la salle est là, pour casser le quatrième mur et être sûrs qu’on vit bien la même aventure, et qu’elle est active. On s’adapte sans cesse. La playlist change à chaque concert en fonction du lieu où l’on joue, du temps qui nous est imparti, ou encore de l’heure à laquelle nous sommes programmés. S’il est très tard, on ne va pas prendre trop de temps sur des morceaux piano-voix très acoustiques. Plus on avance dans la nuit, plus il faut être électrique pour maintenir la tension. Nous ne sommes jamais en mode automatique, il nous est nécessaire de ressentir l’énergie en face pour relancer la machine et jouer avec toujours plus d’intention. Cet échange, réel, est totalement galvanisant. 

 

Ma première fois aux Francos

On est venus aux Francos en 2013, je crois. Je me souviens que c’était sur la grande scène et que je portais encore une jupe moustache. C’était complètement dingue d’être un si petit groupe dans un tel festival. Quelle fête ! Les Francos de La Rochelle ou du Luxembourg, ce sont les festivals les plus gros et les plus fous que nous faisons dans l’année.

 

Dernière sortie

Moustache Gracias, 2022

 

 

Émilie Simon

Monter sur scène et chanter ses morceaux devant un public est pour moi l’une des choses les plus merveilleuses au monde. J’exerce un métier fantastique, exceptionnel. Lors des tournées, lorsqu’on joue tous les jours, il y a bien sûr d’autres choses à gérer : la fatigue, d’éventuels problèmes techniques… Mais je ne perds jamais de vue que c’est la réalisation d’un rêve. Il était évident pour moi que cela ne resterait pas à l’état de fantasme, que c’était ce que j’allais faire de ma vie.

Monter sur scène, c’est apprendre à dépasser tout un tas de peurs. Enfant, on ne se figure pas le stress et la somme de travail qu’il y a derrière. La scène se rapproche des sports extrêmes. Bien sûr, on ne risque pas sa vie, mais, émotionnellement, on se met en danger puisqu’on s’y montre dans une grande vulnérabilité.

La façon dont je me présente sur scène doit être complètement alignée sur mon état d’esprit, l’esthétique doit être une continuité de la musique. La créativité ne s’arrête pas au mixage des morceaux. Les paroles, la musique, l’arrangement et la production demeurent évidemment le cœur du projet. Il est néanmoins essentiel de les accompagner des bonnes images. C’est encore plus vrai aujourd’hui que lorsque j’ai commencé. L’image peut être une porte d’entrée dans la musique, elle influence la perception qu’on en a.

Au début de ma carrière, j’ai construit seule mon identité scénique. 

J’ai l’impression d’être complètement moi-même sur scène, avec du maquillage et des costumes bien sûr. J’ai beau développer des persona, elles sont toutes des facettes de moi que je n’explore pas au quotidien mais que je m’amuse à pousser à l’extrême. Cela reste cependant très naturel et spontané. Je ne ferais jamais rien d’étranger à ma personnalité. Par exemple, lorsqu’adolescente j’ai commencé à chanter devant un public, je gardais les yeux fermés. On me disait parfois : « Mais, Émilie, regarde les gens. Ce n’est pas bien de fermer les yeux ! » Bien évidemment je ne le faisais pas exprès, c’était un réflexe. Quelques années plus tard, je me rappelle avoir vu le groupe Morcheeba sur scène. J’aimais beaucoup la chanteuse, une femme superbe, très solaire… qui chantait, elle aussi, les yeux fermés. Cela m’a libérée et m’a convaincue qu’il fallait éviter les stéréotypes parce que chacun a sa sensibilité et qu’il n’y a pas de règle. Face à un public, plus on est en phase avec soi-même, plus on est fort pour donner. Finalement, j’ai progressivement ouvert les yeux, j’ai eu de plus en plus envie de développer la connexion avec le public.

Pendant très longtemps mes concerts étaient du « fait maison », du bricolage. Au début de ma carrière, j’ai construit seule mon identité scénique. Dans le clip de ma chanson « Flowers », par exemple, il y avait une poupée qui portait une robe à rayures noires et blanches : je me suis acheté le même tissu et je me suis fait une robe. J’ai commencé comme ça, j’aimais faire les choses par moi-même, je m’amusais comme une enfant. Aujourd’hui, je travaille avec des scénographes. J’ai un décor qui a été pensé et réalisé par une équipe spécialisée et c’est formidable également, parce qu’on construit en collaboration quelque chose d’encore plus grand. Les deux approches sont complémentaires, en fonction de la façon dont elles s’adaptent au projet.

Vingt ans se sont écoulés depuis la sortie de mon premier album. Il a été ma carte d’identité, mon empreinte digitale. C’est lui qui a donné la direction de tous les projets qui ont suivi. La Marche de l’empereur, puis Végétal sont venus comme des réponses à ce premier projet. Puis j’ai pensé qu’il fallait me renouveler. À ce moment-là, je jouais beaucoup aux États-Unis. J’ai passé du temps à Los Angeles, à New York. Je découvrais de nouvelles influences, de nouvelles inspirations. J’ai davantage expérimenté avec des machines. Chaque album était une exploration, l’occasion de s’aventurer dans une nouvelle direction, un refus de refaire ce que j’avais déjà fait. À force, on finit par s’éloigner de sa base, au point que j’ai eu envie de retourner à mon premier album et de célébrer ses vingt ans en me le réappropriant. C’était l’occasion de prendre conscience du trajet effectué, des progrès, de l’évolution de mes goûts et de mon son entre 2003 et 2023. La voix a changé, j’ai gagné en expérience, pourtant le cœur et la sensibilité sont exactement les mêmes. 

 

Ma première fois aux Francos

Ma première fois aux Francofolies était une grande joie. C’était vraiment le tout début, mon album venait de sortir. J’ai adoré le festival et c’était une grande excitation. Ça s’est très, très bien passé. Je m’en souviens comme d’une fête, d’un moment de grand bonheur.

 

Dernière sortie

ES, 2023

 

Pomme

J’ai toujours eu un rapport à la scène hyper joyeux. Dès le début, je ne rêvais que d’une chose : multiplier les occasions de jouer. Je me suis donc montrée très volontaire pour contacter des salles. Je disais que j’étais en guitare-voix, qu’on pouvait me programmer n’importe où. Depuis mon premier concert en cinquième où j’ai interprété des chansons que j’avais composées à la fête des talents de mon collège, jusqu’à ma première date « officielle » aux Trois Baudets, en avril 2013, en passant par des tas de concerts dans des bars à Lyon, je n’ai que de bons souvenirs. Début 2014, je faisais déjà pas mal de premières parties. C’est comme ça que j’ai rencontré plein d’amis. Comme je n’avais ni musiciens ni ingénieur du son, j’arrivais seule dans les salles et j’étais obligée de parler avec les techniciens et les artistes qui m’accueillaient. J’avais 18 ans, et j’ai eu la chance d’être toujours reçue avec bienveillance. J’ai passé des années entourée de mille personnes et j’ai mis un certain temps à comprendre que j’avais un véritable besoin de solitude. Lorsque j’ai commencé à écrire dans des résidences en solitaire, comme ç’a été le cas pour mon album Les Failles, j’ai pris conscience des limites de cette hyper sociabilité. Cela a été une révélation dans ma vie. J’apprends maintenant à trouver un équilibre entre le fait de passer du temps toute seule puis d’être regardée par des milliers de gens sur scène. C’est une construction encore un peu fragile parce que j’ai parfois du mal à me rendre compte des moments où j’ai besoin de m’isoler. À l’inverse, je place énormément d’attentes dans mes concerts et quand je sens que la connexion ne se fait pas forcément avec le public, cela peut être vraiment compliqué pour moi.

La fantaisie occupe une grande place dans mon travail.

La fantaisie occupe une grande place dans mon travail. Cela vient du fait que, lorsque j’étais enfant, je ne me sentais pas tout à fait à ma place dans le réel. J’avais besoin de créer des mondes parallèles, que ce soit à travers mes lectures ou les films que je regardais. J’étais attirée par tout ce qui était un peu magique, ce qui tournait autour de la sorcellerie. À 10 ans, j’adorais la saga de Philip Pullman À la croisée des mondes. J’ai donc tout de suite baigné dans des univers dystopiques, parfois un peu monstrueux ou drôles, comme celui de Claude Ponti, avec qui j’ai collaboré pour mon dernier album Consolation. Mes chansons sont pourtant assez réalistes. J’y parle de choses très concrètes, parfois avec poésie, parfois de façon plus crue, et j’ai besoin d’y associer une dimension beaucoup plus fantastique, plus floue, aussi bien dans mes clips que sur scène.

Avant la tournée de mon album Les Failles, j’avais fait peu de festivals. Tant que ma musique ne s’« exportait » pas auprès du plus grand nombre, il leur était difficile de me positionner. Mes chansons ne sont a priori pas adaptées à ce genre de scènes, pas plus qu’aux radios ou aux télévisions. Il y a tout un tas de contextes dans lesquels il est compliqué de se faire une place avec une musique qui n’est pas dansante ou tout le temps positive. Quand j’ai commencé à avoir du succès et qu’un public a eu envie de me voir sur scène, c’était presque « inévitable » de me programmer. Maintenant que je joue souvent en festival, je me réjouis de voir qu’il n’y a plus de barrière liée à mon genre de musique et que je peux me produire n’importe où. Évidemment, je propose des choses différentes de ce que je fais en salle. Il y a des adaptations à trouver pour que ce soit optimal et que les gens qui ne me connaissent pas repartent avec une image de mon projet qui me ressemble, mais je ne perds pas pour autant de vue ce que représente le fait de jouer dans un festival à 20 heures, en plein été, quand tout le monde a envie de faire la fête. En 2021, j’étais tellement heureuse de reprendre après la pandémie que je ne m’étais pas posé la question. Sur cette tournée, nous avons vraiment pensé un set spécial de 60 minutes, relativement énergique, du moins dans les arrangements, puisque je ne peux pas changer les textes ! Et puis je compte sur mon énergie sur scène. Mes chansons étant souvent tristes, j’ai toujours eu ce besoin d’équilibrer un peu les choses et de faire des blagues, de me connecter avec le public. En festival, c’est hyper agréable parce que les gens sont en demande de ça. C’est l’été, tout le monde est plutôt de bonne humeur. J’ai le sentiment d’être vraiment enjouée sur scène et de m’amuser beaucoup plus.  

 

Ma première fois aux Francos

J’ai joué pour la première fois aux Francofolies en 2016 et cela reste l’un des moments les plus intenses et marquants de ma carrière. J’avais fait le Chantier des Francos et j’étais programmée dans un interlude entre les artistes de la grande scène. J’avais 19 ans et je me suis retrouvée à jouer ma chanson « J’suis pas dupe » devant 15 000 personnes. C’était énormissime par rapport aux salles que je faisais à l’époque. Je me souviens avoir pensé : « C’est fou, je suis en guitare-voix et les gens sont à l’écoute. » J’ai eu après la chance d’y retourner à de nombreuses reprises, mais cet été, ce sera la première fois que je ferai la grande scène, sept ans après. J’imagine donc que ça va aboutir à une autre histoire assez sympa à raconter…

 

Dernière sortie

Consolation, 2022

 

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