Il était une fois un petit pays dont les habitants étaient réputés accueillants et bons commerçants. Ils ne disposaient pas d’industrie, à peine d’un peu d’agriculture et de tourisme, et vivaient surtout grâce à une activité bancaire florissante. Ce pays était surnommé la « Suisse du Moyen-Orient ». La guerre civile, de 1975 à 1990, avait ralenti son dynamisme économique, mais la reconstruction avait été l’occasion de redécoller. L’économie reposait essentiellement sur le fait d’attirer des dollars dans les banques avec des taux d’intérêt élevés, ce qui permettait de payer les importations pour la vie quotidienne et d’acheter des titres de dette publique. Elle fonctionnait avec deux monnaies, le dollar et la livre, dont le taux de change était stable depuis 1997 : pour 1 dollar, on avait 1 507 livres libanaises. Les ménages, les élites politiques et l’État dépensaient en empruntant de l’argent, à tel point que tout le pays vivait au-dessus de ses moyens sur fond de corruption généralisée. La mécanique était bien huilée tant que la confiance – jusqu’à l’illusion – des acteurs économiques était là.

À l’automne 2019, la décision du gouvernement de taxer les appels sur WhatsApp entraîna une contestation massive. Les Libanais de toutes confessions et de tous âges descendirent dans la rue et demandèrent le départ des élites politiques. La confiance dans l’économie s’éroda, les Libanais commencèrent à retirer leur épargne des banques et les investisseurs étrangers leurs placements, la livre libanaise perdit de sa valeur par rapport au dollar, les prix augmentèrent et le chômage s’envola. Le 7 mars 2020, le Premier ministre annonça que le gouvernement ne pourrait pas rembourser son échéance de dette publique car les caisses étaient vides (les réserves de la Banque centrale étaient insuffisantes). La spirale de la crise économique et financière était enclenchée. Le 4 août 2020, le port de Beyrouth explosa : on y vit une métaphore de la bombe à retardement sur laquelle était assis le petit pays.

Résultat : en quatre ans, le PIB a été divisé par 2,5 (de 55 milliards de dollars en 2019 à 20 milliards en 2023), la dévaluation vertigineuse de la livre libanaise a entraîné la dollarisation de l’économie et a, entre autres effets, provoqué une division par dix des salaires des enseignants payés en livres. L’hyperinflation a grimpé à 295 % en 2023, rendant les produits de base inaccessibles pour une grande partie de la population, et la dette publique a atteint des sommets (509 % du PIB d’après la Coface, assurance de crédits qui établit des évaluations de risques pays). Cette même année, le chômage concernait 30 % des actifs et même 48 % des jeunes. Enfin, 50 % de la population du pays vivait en dessous du seuil de pauvreté en 2022 (30 % pour les Libanais et 90 % pour les réfugiés syriens) d’après la Banque mondiale, qui estime que cette crise est l’une des pires qu’ait connues le monde depuis le milieu du xixe siècle.

L’année dernière, le pays commençait à montrer de timides signes de stabilisation, même s’il restait dépendant des transferts étrangers : l’argent de la diaspora et les retours saisonniers des Libanais avaient représenté respectivement 36 % et 18 % du PIB. Mais ces maigres espoirs ne durèrent pas… Depuis les massacres du 7 octobre 2024 et, surtout, la vaste offensive d’Israël lancée le 23 septembre, le pays est plongé dans un chaos et une incertitude qui le placent plus que jamais sous perfusion étrangère. À la différence de la Suisse, le Liban est un pays charnière entre des puissances géopolitiques majeures. Et c’est peut-être là tout son malheur.  

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