Un malaise grandissant
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La vie politique de ces dernières semaines nous invite à revenir sur le rapport des Français à leurs élus. Depuis 2009, le CEVIPOF réalise une enquête annuelle sur la confiance des Français à l’égard du personnel politique. Vague après vague, ce Baromètre de la confiance politique aligne des données inquiétantes, préoccupantes même. Car le rapport des Français aux hommes politiques est marqué par un sentiment assez généralisé de « méfiance » et même de « dégoût », les qualificatifs les plus souvent employés pour désigner leur perception.
La dernière vague de l’enquête, réalisée quelques semaines avant la polémique sur l’emploi par François Fillon de membres de sa famille sur fonds publics, éclaire de manière cruelle l’écart vertigineux entre ce que les citoyens pensent et le discours autoréférencé de la classe politique. Les opinions que nous avons recueillies révèlent une situation dramatique : elles composent le portrait d’une classe politique perçue comme non empathique, corrompue, parlant des problèmes de manière abstraite, qui ne se soucie que des riches et des puissants, ne tient pas ses promesses et n’inspire que peu le respect. Ce tableau s’accompagne d’un sentiment plus diffus mais tout aussi préoccupant de défiance vis-à-vis non seulement des acteurs politiques, mais aussi des organisations et des institutions politiques qui incarnent le pouvoir ou tout ce qui s’en rapproche : ainsi seuls 11 % des personnes interrogées déclarent faire confiance aux partis politiques, 28 % au gouvernement, 34 % à l’institution présidentielle, 42 % à l’Assemblée nationale et 44 % au Sénat.
Ce portrait traduit ce que les spécialistes de sociologie politique appellent une forme de « négativité politique », voire de « cynisme politique » : la politique est perçue comme le théâtre des coups bas, des ambitions et de toutes les trahisons, une arène où la fin justifie les moyens. Notre enquête montre que c’est plus fondamentalement le rapport à la démocratie qui est potentiellement en cause : 70 % des personnes interrogées déclarent qu’elle ne fonctionne pas bien en France. Il s’agit de l’un des pourcentages d’insatisfaction à l’égard de la démocratie les plus élevés qu’ait enregistrés notre Baromètre depuis sa création en décembre 2009. En outre, 41 % déclarent qu’« il n’y a pas de quoi être fier de notre système de gouvernement ». Toutes nos données montrent que si les citoyens continuent d’adhérer aux valeurs fondamentales de la démocratie libérale et représentative, l’insatisfaction est immense quant à son fonctionnement.
La nature de ce phénomène est pourtant moins conjoncturelle qu’historique. Ses racines profondes pondèrent ce sombre tableau : le malaise démocratique que nous constatons résulte, selon les mots de l’historien Pierre Rosanvallon, du « changement de référentiel impliqué par le passage du moment électoral à l’action gouvernementale ». La politique serait victime d’un effet de perspective qui donne nécessairement le sentiment qu’elle est une perpétuelle trahison des promesses. L’enjeu serait davantage de renforcer les mécanismes de contrôle démocratique et d’offrir des lignes d’horizon politique clairement identifiables par les citoyens. Il s’agirait, plutôt que de céder à la fascination pour la défiance ou à la réprobation pour la négativité politique, de mieux penser les contradictions et les liens entre démocratie représentative, démocratie directe et démocratie délibérative.
Si l’actualité récente a montré que les primaires permettaient de dégager des perspectives claires, voire clivantes, qui aident les citoyens à se repérer dans le brouillard de politiques publiques semblant proches les unes des autres, le cas Fillon pose en revanche toute une série de questions relatives au mécanisme de la confiance dans ce que Rosanvallon appelle la « démocratie d’identification » (la qualité du lien entre gouvernants et gouvernés). Hors de toute question relative à la « légalité » et à la réalité de ce travail parlementaire organisé sur le mode d’une PME familiale, un point essentiel de la confiance politique est ici en cause : l’écart entre l’agenda politique proposé ou le diagnostic posé sur notre pays et cette pratique.
Est-il possible, sans risquer d’entretenir la « négativité politique », d’assurer, comme le faisait François Fillon en 2007, que notre pays est au bord de la faillite et d’avoir dans le même temps fait bénéficier ses proches de rémunérations sur fonds publics ? Est-il possible de rétribuer leur travail à un niveau de salaire nettement supérieur à celui d’un chercheur du CNRS ou d’un universitaire, d’un enseignant, d’un fonctionnaire territorial de catégorie A pendant ces dix ou quinze premières années de travail, tout en expliquant qu’il faut diminuer la dépense publique ? Au-delà du cas Fillon, l’Assemblée nationale ne devrait-elle pas avoir une réaction de sursaut ? Quand on appelle son parti politique Les Républicains, cela devrait conduire à une exigence absolue qui ne saurait se réduire à « c’est légal donc je peux le faire ».
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