La prochaine élection présidentielle s’annonce comme celle de toutes les surprises. Pour s’en convaincre, il suffit de repenser à cet automne 2016 qui nous semble aujourd’hui si lointain. À gauche, les commentateurs pronostiquaient alors d’une seule voix la candidature « évidente » de François Hollande à un second mandat et guettaient dans les moindres faits et gestes présidentiels les signes annonciateurs de son lancement dans la course. À droite, le match Sarkozy-Juppé battait son plein et la primaire était censée consacrer soit la revanche de Nicolas Sarkozy sur François Hollande, soit celle du maire de Bordeaux sur le destin qui avait relégué au second plan « le meilleur d’entre nous ». 

Malgré la lassitude, voire l’exaspération des Français, le scénario semblait écrit à l’avance, jusqu’aux thèmes de campagne : lutte contre le terrorisme, réduction des inégalités, réformes démocratiques à gauche ; identité nationale, réduction du train de vie de l’État, autorité à droite. Le flonflon de la vie politique française bourdonnait à nos oreilles, indifférent au tumulte du monde. Quelques mois plus tard, rien ne s’est passé comme prévu, et l’élection à venir est, à ce stade, la plus incertaine de l’histoire de la Ve République. 

Premier bouleversement majeur de cette campagne pas comme les autres : l’effacement de l’échiquier politique d’hommes et de tendances qui le structuraient depuis plus de vingt ans. Sarkozisme, chiraquisme, hollandisme ont disparu en quelques semaines. L’échec de Nicolas Sarkozy à la primaire de la droite a signé le retrait de celui qui a dominé pendant plus de dix ans sa famille politique, depuis son élection à la présidence de l’UMP en 2004. Initiateur de la « droite décomplexée », promoteur d’une spectacularisation accrue de la vie politique, Nicolas Sarkozy, en cultivant son omniprésence médiatique, avait imposé de nouveaux thèmes dans le débat public : identité nationale, réhabilitation du capitalisme entrepreneurial, critique de l’Europe et des élites…  Il était parvenu à révolutionner la droite et à l’emporter vers la victoire en 2007. Mais son mandat, décevant, et son incapacité à tirer les leçons de ses échecs, alliés à la radicalité populiste de sa campagne à la primaire, ont fini par effrayer son électorat, qui lui a préféré le discret et apparemment plus convenable François Fillon. 

Autre disparition majeure : celle d’Alain Juppé. Elle est venue sonner le glas du chiraquisme, ce conservatisme modéré mâtiné d’humanisme républicain, qui a longtemps constitué le catéchisme de la droite néo-gaulliste. 

À gauche, le retrait du président François Hollande – une première dans l’histoire de la Ve République – et la défaite de Manuel Valls à la primaire de la Belle Alliance populaire ont marqué l’échec de la tentative sociale-libérale au sein du PS, mais également la fin de cette synthèse permanente qui avait été la marque de fabrique du hollandisme depuis la prise du parti au congrès de Brest en 1997 (face à Jean-Luc Mélenchon !). L’avènement de Benoît Hamon, que personne – peut-être pas même lui – n’avait anticipé, n’en finit pas de surprendre alors que le PS était, de l’avis général, anesthésié politiquement et mort idéologiquement. Comble de l’ironie, les deux seuls candidats qui ont survécu à l’élection de 2012 – en attendant de savoir si François Bayrou sera de la partie – sont précisément ceux qui dénoncent la vieille politique et prétendent incarner une alternative. Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen sont brusquement devenus des sortants, dont les slogans et les recettes sont identifiés par l’opinion depuis longtemps.

L’autre surprise de cette élection pas comme les autres tient aux conséquences des primaires. Au-delà des nouvelles modalités de désignation des candidats, maintes fois commentées, qui ont permis l’émergence de personnalités relativement nouvelles, ce processus a révélé une résistance inattendue des cultures politiques traditionnelles. Le choix de Benoît Hamon et de François Fillon dénote la volonté des sympathisants du PS et des Républicains de faire confiance à des candidats très emblématiques, dans leur style personnel comme dans leurs propositions, de leurs camps respectifs. L’élection de 2007 avait proposé une confrontation bloc contre bloc de deux projets aux différences très marquées, mais le combat avait été mené par deux candidats, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, très hétérodoxes et contestés pour leur style ou leur personnalité. Dix ans plus tard, les projets sont toujours antagonistes, mais les deux candidats incarnent leur famille politique jusqu’à la caricature.

La dernière source d’étonnement tient au potentiel électoral sans précédent des candidats de mouvements se présentant comme anti-système : Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron. Ces trois prétendants à la fonction présidentielle recueillent aujourd’hui plus de la moitié des intentions de vote de l’électorat. Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, l’un(e) d’entre eux est annoncé(e) au second tour dans toutes les configurations. À titre de comparaison, les scores de ces candidats étaient déjà importants en 2012 (avec François Bayrou dans le rôle du candidat du système « anti-système » qu’incarne aujourd’hui Emmanuel Macron), mais ceux-ci ne représentaient alors « que » 40 % des électeurs, en comptant l’extrême gauche hors Front de gauche. 

Plus frappant encore, de nombreux sondages laissent entrevoir la possibilité d’un duel final entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, éliminant les deux candidats des partis traditionnels que sont Hamon et Fillon. Ce scénario n’est pas une fiction : l’Autriche, voici quelques mois, a vu s’opposer un candidat écologiste à celui de l’extrême droite après la disparition au premier tour du Parti social-démocrate et du Parti populaire, les deux principales formations politiques de ce pays. Retour à la normale ou implosion du système politique, cette élection s’apparente de plus en plus à une transition vers un ailleurs. Reste à savoir si la volonté de changement qui tiraille l’opinion sera porteuse d’avenir ou de chaos. Après des prémices si riches en rebondissements, la campagne peut enfin commencer. 

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