La belle Europe est morte. Celle de la prospérité partagée, de la réconciliation des peuples ennemis, de la sécurité à l’ombre de l’Amérique, de la fierté enfin, voire de l’appétence démocratique. Notre Europe est désormais en souffrance. Une décennie de crise économique a pulvérisé l’adhésion des citoyens européens, les classes moyennes se paupérisent et lorgnent vers des promesses autoritaires, un sentiment de vulnérabilité s’est installé dans toute l’Europe où le désir de retrait, de divorce, de renationalisation souverainiste a remplacé la dynamique d’intégration, d’élargissement, de renforcement de la construction européenne. De là à conclure à la vanité désormais de l’Europe, la tentation est grande. Mais la fin de l’Europe ne laissera pas indemnes nos nations, pas même la France, si grande encore dans le monde, mais qui ne compte que 1 % de la population mondiale, 1 % des terres immergées, 4 % du PIB mondial… Face aux géants asiatiques, la mondialisation ne peut se jouer qu’à grande échelle, et celle de l’Union est la seule pertinente. 

Pendant plus de quarante ans, parce que nous avions été à l’origine des plus atroces tragédies du xxe siècle, les Européens ont été sortis de l’histoire : celle-ci restait l’apanage des États-Unis, qui géraient le monde et nous garantissaient l’irresponsabilité stratégique la plus totale, en échange d’une allégeance politique maximale. Et nous avons grassement prospéré sur cette éviction : de 6 à 27, de la PAC à une puissance économique leader de la planète, d’une zone en ruine à une construction politique attractive et d’avant-garde. Mais à partir des années 1990, les révolutions géopolitiques du communisme mondial vont bouleverser cette béatitude du grand marché européen. L’URSS disparaît tandis qu’au même moment la mondialisation chamboule toutes les certitudes de la guerre froide : la prospérité n’est plus évidente, la paix n’est plus forcément acquise, la bienveillance américaine à l’égard des alliés européens n’est plus assurée. 

Qu’on le veuille ou non, le xxie siècle signifie donc pour l’Europe le retour de l’histoire. Celle des guerres à nos portes (Ukraine), des fascinations autoritaires (Est européen), des divergences économiques (France-Allemagne), et surtout, surtout, de la solitude stratégique abyssale de l’Europe. Dans tous les sens du mot, les États-Unis n’assurent plus : qui peut croire encore que Donald Trump et ses successeurs vont perpétrer longtemps une équation atlantique qui date de la guerre froide ? Si elle ne se réorganise pas pour affronter le monde tel qu’il est, l’Europe est donc condamnée à redevenir la proie qu’elle fut naguère, ou à subir un monde écrit par d’autres au bénéfice des autres. 

Tel est le sens de l’histoire : les Européens n’ont plus le choix de l’inexistence sur la scène mondiale. Prenons quelques exemples : Peut-on laisser les États-Unis et la Chine décider de l’avenir du numérique ? Y aura-t-il une limite éthique aux progrès de l’intelligence artificielle ou de la génétique ? Quid de l’exploitation des pôles avec le réchauffement climatique ? Ces questions seront déterminantes pour l’avenir des sociétés humaines : imagine-t-on que les Européens en soient absents ? Que seuls les États-Unis parlent à notre place ? Que quelqu’un d’ailleurs songe à parler en notre faveur ? Évidemment non. Personne d’autre que l’Europe ne défendra nos intérêts, notre identité, la spécificité de notre modèle social et politique. Des manches sont donc à retrousser : l’Europe politique pourrait bien être l’idée neuve des décennies à venir. 

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