Il aimait quand je l’emmenais en voiture dans Paris, tard dans la nuit. On échappait à l’escorte policière qui lui pesait. Il abaissait la vitre pour respirer l’air tiède du printemps. Je sentais qu’il se détendait. On ne parlait pas. Il était bien. On longeait les quais de Seine, les rues paisibles et gaies du Quartier latin. Il se savait malade mais il ne se soignait pas. Il laissait le mal le gagner de l’intérieur. Il préférait cette mort à petit feu à la lame du couteau dont le menaçaient ses ennemis depuis qu’il les avait dénoncés dans ses romans, ses articles, ses chroniques à la radio. Quand on lui suggérait de s’installer en France pour échapper aux menaces des islamistes, il disait que loin de chez lui il mourrait. Mais il mourrait aussi chez lui. Alors il mourait à sa façon. Rachid Mimouni était mon ami. Auteur d’emblée reconnu et fêté avec L’Honneur de la tribu, il choisissait pour ses livres des titres sans détour. La Malédiction, Une peine à vivre. Tout était dit, même quand il gardait le silence. La dernière visite que je lui ai rendue, c’était en 1995, à la morgue de Cochin. Lui, le grand écrivain de la liberté, semblait minuscule dans son burnous mortuaire, une capuche escamotant une partie de son visage à jamais renfrogné. Même mort, il n’était pas en paix. « Il n’est pas mort de deux balles dans la tête, il est mort de déception », écrivit alors Tahar Ben Jelloun. Aujourd’hui, avec Boualem Sansal et Kamel Daoud, son combat continue. 

 

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