Hamas, Hezbollah, houthis… Qu’est-ce que les principaux groupes armés du Proche-Orient ont en commun ?

Ces groupes font tous partie de ce que l’on appelle l’« axe de la résistance », une alliance militaire et idéologique dont l’Iran est le chef de file et qui comprend aussi la Syrie, ainsi que de nombreuses milices irakiennes. Ces trois grands groupes sont très différents les uns des autres, par leur histoire, par leur raison d’être et, surtout, en raison de leurs différences religieuses. Le Hezbollah est chiite, directement rattaché au guide suprême iranien dont il reconnaît l’autorité religieuse. Ce n’est pas le cas des houthis, qui appartiennent majoritairement à une autre branche du chiisme qui ne reconnaît pas les douze imams. Quant au Hamas, c’est un mouvement sunnite. Il n’a donc aucune proximité spirituelle avec le Hezbollah ou l’Iran.

Tous partagent toutefois les objectifs et l’idéologie de la République islamique iranienne. En l’occurrence, une opposition quasi viscérale à l’existence d’Israël et au projet de deux États, palestinien et israélien, coexistants. Et, plus généralement, une opposition au camp occidental, incarné par les États-Unis. C’est toute la rhétorique du « Grand Satan, Petit Satan ».

Ils entretiennent également tous un lien fort avec l’Iran. Ils sont tous les trois soutenus et armés par ce pays, mais à des degrés très divers. Le plus proche de l’Iran est sans conteste le Hezbollah. Le Hezbollah a en effet été fondé en 1982 par des pasdarans, c’est-à-dire des gardiens de la révolution islamique, l’armée idéologique du régime iranien. Au départ, ces pasdarans sont allés au Liban pour combattre l’invasion du pays par Israël en 1982. Mais rapidement, il leur est apparu plus intéressant et judicieux de former une petite milice chiite, qui s’est imposée dans la vaste galaxie de la guerre civile libanaise. Aujourd’hui, le Hezbollah est l’acteur non étatique le plus armé au monde. Il compte 25 000 combattants actifs, dont 10 000 membres des forces d’élite Radwan, 50 000 hommes mobilisables en tout. Et il fait des émules dans tout le monde arabe, voire au-delà.

Les houthis et le Hamas sont-ils modelés d’après le Hezbollah ?

Oui et non. Les houthis ont pris le Hezbollah pour modèle, mais ils ont aussi d’autres raisons d’être, d’autres origines. Ils sont avant tout un groupe politico-religieux qui prend ses racines dans ce que l’on appelle le « zaydisme », c’est-à-dire une forme de royalisme chiite, très populaire dans les tribus yéménites du nord du pays. Les houthis portent cette revendication des zaydites qui veulent retrouver le pouvoir perdu lors du renversement de l’imam Zayd par les forces républicaines lors de la guerre civile des années 1960. La raison d’être des houthis est donc propre au Yémen.

Là où le Hezbollah entre en jeu, c’est sur le plan logistique. Lorsque le Yéménite Abou Jibril Al-houthi est exilé en Iran puis au Liban dans les années 2000, il constate la force et l’efficacité du Hezbollah. De retour au Yémen, il s’en inspire pour fonder le mouvement houthi sur le même modèle organisationnel : un parti et une milice extrêmement disciplinés, très pyramidaux, avec des structures extrêmement secrètes. Les houthis ne sont pas une création de l’Iran, mais ils ont effectivement imité le Hezbollah, qui a pu par la suite servir de « conseiller militaire » aux houthis, notamment sur l’usage des missiles et des drones. Aujourd’hui, ce mouvement zaydite est particulièrement puissant. C’est une autorité étatique, une armée à la tête d’un pays : ils comptent 300 000 à 500 000 combattants.

« Le Liban est dans un état de grande faiblesse, il ne serait pas du tout en état de tenir une guerre avec Israël. »

Quant au Hamas, c’est encore un autre cas de figure. Le Hamas est une émanation des Frères musulmans, il a été formé dans les universités égyptiennes des années 1970. À ses origines, il s’inspire surtout des djihadistes égyptiens, notamment du groupe Al-Gama’a al-Islamiyya. La rencontre avec le Hezbollah se fait au début des années 1990, alors qu’Israël expulse 300 cadres du Hamas vers le sud du Liban. Après avoir erré dans un no man’s land, ils sont récupérés par des combattants du Hezbollah. Là, ils ont pu observer l’efficacité de ce groupe et se sont formés à la guérilla armée, avant de rentrer en 1993 à Gaza pour structurer le Hamas sur ce modèle. Depuis, des cadres du Hamas sont régulièrement envoyés en Iran ou au Liban pour être formés par le Hezbollah.

Y a-t-il une collaboration sur le terrain ? Sont-ils alignés dans leur politique face à Israël et Gaza ?

Il y a une coordination politique entre le Hamas et le Hezbollah, c’est certain. Mais je ne pense pas qu’il y ait eu de coopération opérationnelle pour les massacres du 7 octobre. Pour moi, le Hezbollah n’a pas été prévenu – d’ailleurs, le timing était assez mauvais pour lui. Le Liban est dans un état de grande faiblesse, il ne serait pas du tout en état de tenir une guerre avec Israël. Le Hezbollah a fait montre d’une certaine solidarité, mais celle-ci a somme toute été assez limitée. Il n’est pas prêt à se sacrifier pour le Hamas.

Quant aux houthis, ils sont géographiquement assez loin d’Israël. Ils sont capables d’envoyer des drones et des missiles, mais leur efficacité est assez limitée. Depuis le début du conflit, leur impact se situe surtout au niveau du commerce mondial, par le biais d’attaques de bateaux. Ça, c’est une vraie menace, que l’Iran pourrait décider d’intensifier à l’avenir.

On les appelle souvent les « proxies de l’Iran ». Comment se manifeste l’influence de l’Iran sur ces groupes armés ?

Outre le travail historique de formation des cadres et des combattants, l’Iran a un rôle de financement et de livraison d’armes. C’est évident dans le cas du Hezbollah, qu’il a largement financé pendant des dizaines d’années. On estime qu’il a touché en moyenne 100 à 200 millions de dollars par an. Les montants ont beaucoup baissé aujourd’hui car l’Iran est en difficulté financière et les États-Unis ont imposé des sanctions très sévères sur les flux financiers en direction du Hezbollah. Au niveau des armes, ce dernier possède toute la panoplie de roquettes et de missiles iraniens, à l’exception des missiles balistiques. Ils transitent de l’Iran par la Syrie. Quant au Hamas, on sait que l’intégralité de son arsenal provient de l’Iran : les armes passent d’abord par le Soudan, puis par l’Égypte et le Sinaï, via des filières clandestines de Bédouins, qui les apportent dans Gaza par les tunnels. Puis l’Iran a fourni à cette organisation sa technologie de fabrication de roquettes, les fameuses Fajr à la portée moyenne de 75 kilomètres, que le Hamas peut désormais produire directement.

Est-ce une relation de subordination, ou bien ces groupes disposent-ils d’une certaine autonomie ?

Cela dépend. Le Hezbollah est littéralement intégré à la chaîne de commandement iranienne. Il y a des dirigeants iraniens de haut niveau parmi les cadres du Hezbollah, et le Hezbollah a des bureaux de représentation officiels à Téhéran. Ils sont complètement imbriqués. D’ailleurs, le général iranien Mohammad Reza Zahedi, qui a été tué lors du raid israélien sur Damas le 1er avril, siégeait dans les instances dirigeantes du Hezbollah.

Les houthis, eux, se conçoivent comme les représentants d’un pays souverain. Il y a une collaboration avec l’Iran, mais ils se réservent le droit de faire ce qui les arrange. Là, il se trouve qu’ils partagent les objectifs de Téhéran, mais ils ne sont pas à sa botte. Ils servent leurs propres intérêts. Quant au Hamas, c’est un allié de taille pour l’Iran, mais il a lui aussi ses objectifs propres. Et je ne pense pas qu’il ait demandé d’autorisation à l’Iran pour son opération du 7 octobre.

« Le Hamas est en grande difficulté aujourd’hui. Toutefois, aux yeux de l’Iran, il n’a pas échoué »

Alors que le Hamas est affaibli, l’alliance peut-elle survivre ? Qu’est-ce qu’un effondrement du Hamas impliquerait pour l’« axe de la résistance » ?

Oui, le Hamas est en grande difficulté aujourd’hui. Toutefois, aux yeux de l’Iran, il n’a pas échoué. Certes, il a perdu beaucoup de matériel, beaucoup d’hommes – on estime aujourd’hui qu’il reste deux bataillons intacts du Hamas, soit environ 10 000 hommes, peut-être moins, qui se terrent dans le sud de Gaza. Mais il reste gagnant dans la mesure où il a toujours des otages – dont on ignore aujourd’hui le nombre – et où il a réussi à préserver son commandement – aucun chef du Hamas n’a perdu la vie dans les attaques. Quant aux vies gazaouies, ce n’est, pour l’Iran, qu’un dommage collatéral.

En plus de cela, l’image d’Israël s’est complètement dégradée depuis le début du conflit, au Proche-Orient mais aussi dans l’opinion occidentale. Pour les autorités iraniennes, tout cela est une victoire.

Ensuite, le Hamas n’est pas leur seul allié en Palestine. Il y a également le Djihad islamique en Palestine, un petit groupe terroriste très proche de Téhéran, qui se réclame de la révolution islamique de 1979. Il n’a certes pas les capacités de recrutement de masse du Hamas, mais il dispose de combattants d’élite. Il est également plus radical que le Hamas et ne lui obéit pas – il n’hésite par exemple pas à tirer des roquettes en période de trêve. Il est complètement affilié à l’Iran, et peut se révéler précieux dans la région. L’affaiblissement du Hamas, voire sa disparition – très improbable, car il lui reste de très bonnes perspectives de recrutement sur plusieurs générations – n’est en tout cas pas la préoccupation première de l’Iran.

À quel point l’Iran dépend-il de ses proxies ?

Jusqu’à très récemment, ces groupes lui étaient indispensables, car c’étaient eux qui combattaient Israël et les États-Unis dans la région. Je pense aussi aux milices chiites irakiennes pro-Téhéran qui ont harcelé les bases américaines pendant plusieurs mois, jusqu’à ce qu’une réponse musclée des Américains ne mette fin aux attaques. Mais, depuis que l’Iran a mis en scène sa capacité à frapper directement Israël le 14 avril, les groupes armés n’apparaissent plus si indispensables. Ils sont une arme supplémentaire aux mains de l’Iran, et non plus une arme de substitution. En fait, l’idée derrière cette riposte iranienne, c’est de faire comprendre que si Israël attaque l’Iran, ce sera l’ensemble de ses alliés dans la région qui riposteront : l’Iran, et tous ses proxies.

Vous écrivez : « Le secrétaire général du Hezbollah tient entre ses mains le feu qui peut convertir la guerre de Gaza en conflit régional. »…

Le cas du Hezbollah est un peu à part. Je pense qu’il ne sera mobilisé qu’en dernier recours. Il faut bien comprendre que la puissance du Hezbollah est énorme, c’est l’équivalent d’une armée. S’il entre dans le conflit, ce sont 3 000 roquettes et missiles par heure qui seront tirés sur Israël dans les premières heures. Le « Dôme de fer », qui protège Israël, sera complètement saturé, et cela représentera des milliers de victimes du côté israélien. Par ailleurs, cet énorme arsenal de 150 000 roquettes en tout genre, une fois entamé, est très difficile à réapprovisionner. Il doit donc être utilisé au moment idoine. C’est pourquoi je pense qu’il ne sera fait appel au Hezbollah qu’en cas d’attaques massives contre l’Iran et son programme nucléaire, qu’en situation de guerre ouverte avec Israël.

 

Propos recueillis par LOU HÉLIOT

 

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