Six mois après l’attaque du 7 octobre 2023, Israël reste pourvu d’un certain nombre d’atouts militaires pour mener sa guerre, à commencer par la motivation toujours intacte d’une société qui perçoit les menaces du Hamas, du Djihad islamique et du Hezbollah comme existentielles. Les 180 000 soldats d’active de Tsahal – acronyme des Forces de défense d’Israël – et les stratèges militaires, très compétents et bien entraînés, continuent de prouver leur détermination au quotidien, tandis que la population civile, réputée pour sa grande résilience, reste unie derrière son armée et offre, par le biais de ses 450 000 réservistes, un soutien opérationnel crucial. La classe politique, très idéologisée et fracturée, est en revanche très critiquée par la population qui souhaite lui demander des comptes.

D’un point de vue purement technique, les avantages d’Israël sont réels. Son équipement militaire (1 300 chars, 285 avions, des centaines de drones, 5 sous-marins et 5 corvettes, tous de premier rang) est exceptionnel pour la région, sans compter ses services de renseignement (malgré l’échec du 7 octobre) et leurs aptitudes dans le domaine du cyber et des actions ciblées. Sa défense antimissile, multicouche et très dense, a prouvé son efficacité au cours du week-end du 13-14 avril dernier. Israël est tout aussi capable de frapper directement l’Iran en profondeur, grâce à son aviation, ses missiles et ses drones.

Sa stratégie de dissuasion nucléaire, enfin, bien qu’ambiguë et non assumée, constitue une autre force importante. Faut-il l’officialiser ? Des stratèges s’interrogent. Cette option ne serait pas du goût des États-Unis qui, depuis les années 1970, incitent le pays à rester dans le flou afin d’empêcher toute prolifération nucléaire au Moyen-Orient. Dans le contexte actuel, Israël n’a pas intérêt à se mettre à dos Washington, son principal allié et soutien militaire. Si l’interception de la salve iranienne du 13 avril a pu être un succès, c’est bien grâce à une connexion étroite avec le système de détection et de défense antimissile américain. Israël, dont l’aviation est entièrement d’origine américaine, dépend des États-Unis pour l’entretien et la réparation de ses appareils, en particulier ses 50 F-35 furtifs. L’approvisionnement massif en missiles de défense anti-aérienne du pays repose également sur les Américains ; la fabrication des fameux missiles Arrow israéliens est d’ailleurs le fruit d’une étroite coopération avec les industriels américains. S’opposer aux instructions de la Maison-Blanche représenterait donc un risque élevé pour Israël qui, privé de ce soutien précieux, se retrouverait véritablement isolé sur la scène internationale et devrait se mettre en quête de nouveaux parrains, comme la Chine ou la Russie.

Cette difficulté réelle se conjugue à un certain nombre d’autres vulnérabilités, à commencer par la dispersion des forces de Tsahal qu’impliqueraient des combats sur plusieurs fronts simultanés : face au Hamas et au Djihad islamique à Gaza, mais aussi potentiellement en Cisjordanie ; face au Hezbollah à la frontière nord ; face à l’Iran ; et aussi en mer, pour protéger les plateformes gazières offshore. En parallèle, Israël doit s’assurer que sa population arabe ne se soulèvera pas, notamment dans le nord et le sud du pays.

La démonstration récente de son incapacité à protéger sa population civile est peut-être le principal talon d’Achille d’Israël

La démonstration récente de son incapacité à protéger sa population civile s’impose comme l’autre grande faiblesse israélienne aujourd’hui ; c’est peut-être même son principal talon d’Achille. Cette protection de la population civile constitue de fait la pierre angulaire de l’État hébreu dans son essence même, autour d’un contrat moral avec les citoyens : ces derniers sont contraints de passer au moins trois ans au service de l’armée, puis d’être rappelés tous les ans sous les drapeaux pour des périodes de réserve, de vivre sous des contraintes sécuritaires fortes, de voir une enveloppe publique colossale allouée à la défense au détriment d’autres services publics, et d’accepter des pertes militaires importantes, en échange de quoi les familles israéliennes sont censées être protégées. Or le 7 octobre 2023 a marqué la faillite de ce postulat. C’est la crédibilité du gouvernement israélien qui est désormais en jeu. Après vingt ans de domination sans partage du pouvoir par des personnalités strictement politiques, la société israélienne commence à envisager de redonner le pouvoir aux anciens militaires, comme elle l’avait fait avec un certain succès pendant la décennie 1990-2000. Pour elle, la classe politique a échoué et les raisons de maintenir Netanyahou au pouvoir se réduisent comme peau de chagrin.

Netanyahou l’a bien compris. Depuis le début de l’année 2024, l’enjeu pour le Premier ministre d’Israël consiste à prolonger la guerre le plus longtemps possible dans le but de prouver que le pays a toujours besoin de lui. Cependant, les pressions occidentales, et en particulier celles des États-Unis, sont telles qu’il sera bientôt contraint d’envisager un cessez-le-feu à Gaza. Il est donc crucial pour lui, d’un point de vue politique, d’ouvrir un nouveau front pour poursuivre les combats. Il a bien tenté, à l’occasion du ramadan, de faire des étincelles en Cisjordanie, mais le feu n’a pas pris. Il essaye de pousser à la faute le Hezbollah au Sud-Liban, mais pour l’heure, ce dernier n’est pas tombé dans le piège. Il a donc provoqué directement l’Iran le 1er avril dernier en bombardant son consulat à Damas, tuant au passage huit officiers, dont deux généraux très haut placés des gardiens de la révolution, ou pasdarans. Et l’Iran a riposté.

À présent, la question est de savoir si Israël s’engagera dans une escalade. Au cabinet de guerre, les avis divergent. Certains appellent à la prudence pour préserver le lien vital avec Washington, incitant à profiter de ce contexte de « riposte » pour accroître la pression sur le Hamas et sur le Hezbollah et pour cibler uniquement les milices pro-iraniennes en Syrie, en Irak et au Yémen. Une autre partie, derrière Netanyahou, y voit une occasion inespérée de frapper directement l’Iran sur son sol, pour décrédibiliser un peu plus les pasdarans et accroître la dissuasion israélienne dans une région du Moyen-Orient où les dirigeants sont très attentifs au rapport de force. Ce qui permettrait au Premier ministre israélien de temporiser à Gaza et de faire baisser le niveau des tensions avec les États-Unis.

Il n’est pas évident que l’ouverture d’un nouveau front en Iran convaincrait la population israélienne qui, dans sa grande majorité, commence à voir ses priorités changer. Bien que toujours unie derrière son armée, elle semble à présent estimer que, six mois après l’attaque du Hamas, Israël a réussi à restaurer sa posture dissuasive ; elle attend avant tout du gouvernement la libération des otages et la possibilité, pour les 80 000 citoyens israéliens déplacés de leur lieu d’habitation, de pouvoir rentrer chez eux pour reprendre une vie normale. Un sondage paru dans la presse du pays le 17 avril montre que 74 % des Israéliens seraient opposés à une attaque directe contre l’Iran si celle-ci nuisait à l’alliance sécuritaire avec les États-Unis.

 

Propos recueillis par MANON PAULIC

 

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