Paris a-t-elle la capacité de rester une capitale mondiale ?

Avec ses douze millions d’habitants, une métropole comme Paris dispose de moyens pour progresser et rebondir, même en cas de crise. Elle tire sa force de son caractère généraliste. Comme l’aire urbaine de Paris ne dépend pas d’une seule branche d’activité, elle peut compter sur des ressources variées pour se réinventer en permanence. Le contre-exemple, c’est la ville américaine de Detroit. Sa dépendance vis-à-vis de l’automobile l’a rendue incapable de rebondir.

Pourquoi Paris est-elle alors en perte de vitesse ?

Le problème, c’est l’État français. Jusqu’aux années 1960, il concentrait un grand nombre d’activités à Paris, tout en privant la ville d’un gouvernement local, faisant d’elle une sorte de colonie, de district fédéral. Il faudra attendre 1977 pour que soit élu le premier maire de Paris depuis la défaite de la Commune ! L’État a longtemps eu peur du pouvoir de Paris. De manière générale, il a toujours préféré s’allier avec la partie la moins urbaine de la population. « Pas de pays sans paysans ! » : dans les années 1990 Charles Pasqua, qui fut ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, s’inspirait de ce slogan en disant que, si le territoire français se défaisait, c’était parce que les villes prélevaient une rente sur les productions rurales. Jusque dans les années 1990, les hommes à la tête de l’État pensaient encore que les villes étaient le problème et pas la solution. Paris paye aujourd’hui les conséquences de ce déséquilibre qui a longtemps marqué l’histoire de la France.

Le projet du Grand Paris peut-il redonner de la force à la capitale ?

On sent une évolution. Pendant longtemps, l’idée courante était que Paris vivait aux crochets du reste de la France. On a compris que c’était le contraire et, pour la première fois, la métropole est reconnue comme un atout pour le territoire français. Il existe aujourd’hui un large consensus pour considérer que les métropoles existent et qu’il faut leur donner les moyens de se développer. On peut espérer que le débat continue et que l’on construise quelque chose de plus cohérent. Dans le passé, on a vu passer des réformes ou des propositions, mais elles se sont enlisées. C’est très compliqué de porter un jugement global sur les réformes de décentralisation depuis 1982. D’un côté, il y a cette prise de conscience qu’il faut donner un vrai pouvoir au niveau infranational, mais on ne le donne pas au bon endroit : on renforce les entités les plus archaïques. De l’autre, on n’assainit pas le système, on ajoute des couches sans en supprimer. Il y a une distorsion entre le langage général, plutôt sympathique, et les décisions effectives. Je ne suis pas pessimiste dans l’absolu, mais nous sommes loin d’être sortis du tunnel.

Quelles sont les faiblesses du Grand Paris ?

Avec le Grand Paris, on a fabriqué un espace kafkaïen. L’Île-de-France présente un découpage proche de l’aire urbaine. Il aurait fallu renforcer le pouvoir urbain à cet échelon, qui, malgré sa taille, est en fait plus local que régional. Non seulement on ne l’a pas fait, mais on a donné à la Métropole du Grand Paris un certain nombre de pouvoirs qui entrent en collision avec ceux de la région. La région sera en charge des transports, mais le logement et l’urbanisme relèveront de la Métropole. C’est aberrant.

Un deuxième problème concerne le périmètre de la Métropole du Grand Paris, qui ne correspond même pas, et de loin, à l’ensemble de l’agglomération et laisse complètement à l’écart le périurbain. Le fait d’avoir d’exclu les quatre départements périphériques de l’Île-de-France a pour effet de couper la banlieue en deux, d’éjecter les villes nouvelles et l’aéroport de Roissy et de fragmenter le projet de métro Grand Paris Express, qui sera le chantier le plus important pour l’aire métropolitaine ces prochaines années.

Lorsque Nicolas Sarkozy avait lancé le projet du Grand Paris, l’un de ses objectifs était bien de créer de nouveaux espaces de développement. Le projet a dérivé… Regardez le plateau de Saclay, stratégique en matière de développement : il est en dehors de la Métropole ! On reste pantois face à ce manque de logique. Et on ne peut que constater qu’il existe des courants très forts sur la scène politique nationale qui ne veulent pas d’un gouvernement urbain francilien. On pense à la formule cruelle de François Mauriac, après la guerre : « J’aime tellement l’Allemagne que je préfère qu’il y en ait deux. » C’est pareil pour Paris : tout est fait pour fabriquer du conflit et de la fragilité.

Il existe enfin une obsession de la taille optimale, purement abstraite, sans fondement théorique, déjà à l’œuvre dans le nouveau découpage régional. Elle traverse aussi le Grand Paris et c’est une erreur.

Y a-t-il une stratégie à la tête de l’État vis-à-vis du Grand Paris ?

On a beaucoup reproché à François Hollande de ne pas avoir de stratégie. Je pense que cette situation est le point d’aboutissement du système actuel, l’expression d’une aberration qui s’est peu à peu mise en place. L’exécutif a énormément de pouvoir, mais ce pouvoir devient de plus en plus vide. À la belle époque gaullienne, lorsque le président disposait d’une légitimité charismatique, il avait un pouvoir d’inflexion de la société. Cela pouvait permettre de prendre des décisions fortes. Mais aujourd’hui, avec l’évolution de la société, la montée en puissance de l’individu, la mondialisation et l’Europe, ainsi que la persistance dans le pays d’une très forte opposition aux réformes, tout cela fait que le président doit mentir pour arriver au pouvoir et qu’il est ensuite entravé et empêtré par ses mensonges.

Ce qui serait souhaitable et envisageable, c’est d’instituer un Haut Conseil des territoires sur le modèle du Comité consultatif national d’éthique. Cet organisme ne disposerait d’aucun pouvoir de décision mais devrait être impérativement consulté. Il ne comprendrait pas d’élus. Il intégrerait tous les acteurs de la société civile : entreprises, associations, chercheurs, professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme, etc. Il réaliserait une espèce d’enquête permanente sur l’évolution des territoires. On serait obligé de le consulter pour prendre des décisions et cette contrainte serait suffisante pour éviter les erreurs les plus grossières. Aujourd’hui, il n’existe pas d’entité légitime et indépendante qui puisse proposer des solutions, et on avance peu. 

Propos recueillis par MANON PAULIC

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