« La terre est bleue comme une orange », écrivait Paul Éluard. En juillet, le monde est jaune comme un maillot, comme un soleil de juillet. Poursuivant avec les grands poètes, n’oublions pas Louis Aragon qui en 1947, dans le magazine Miroir sprint, évoquait ainsi le Tour : « fête d’un été d’homme et aussi fête de tout notre pays, d’une passion singulièrement française […]. Je n’ai pas perdu cet attrait de mon enfance pour ce grand rite tous les ans renouvelé. »

Fête nationale dans une union nationale qui rassemble tout le monde : tous les âges, toutes les générations, toutes les classes sociales, toutes les sensibilités politiques… Et cette fête a une couleur, le jaune ! En juillet, depuis plus de cent treize ans, la France est jaune comme les blés mûrs, comme les tournesols et surtout comme le maillot de celui qui domine la plus grande course cycliste du monde. Henri Desgrange, génial créateur du Tour de France, savait surtout écouter ses collaborateurs. Comme Alphonse Baugé qui, en 1919, lui conseille de faire porter un maillot distinctif au premier du classement général de sa course.

HD, les initiales d’Henri Desgrange que l’on retrouve sur le maillot jaune encore aujourd’hui, pensait à l’or. Le métal le plus précieux pour les exploits les plus fameux. Symbole de l’immortalité et de la puissance dans l’Antiquité, à l’image du fameux Jason et de ses Argonautes rapportant la Toison d’or au roi Pélias, au retour d’un voyage périlleux. Un maillot d’or pour l’éternité : l’idée était belle, de la mythologie à la légende, de l’histoire à l’épopée. Finalement, l’or s’est transformé en papier. Les impératifs économiques de la presse de l’époque ont ramené Desgrange sur terre. Son journal était imprimé sur papier jaune : le maillot du Tour de France sera jaune.

Le 19 juillet 1919 à Grenoble, lorsque Eugène Christophe reçoit le tout premier maillot jaune des mains d’Henri Desgrange, il boude un peu ! Jaune, la couleur des cocus, pas terrible pour un guerrier comme le Vieux Gaulois. Il l’accepte et va lui donner ses premières lettres de noblesse. Distancé à Valenciennes car il a une nouvelle fois cassé sa fourche, il perd le beau maillot et le soir même, avec un geste de grand seigneur, il va offrir la précieuse tunique au Belge Firmin Lambot. Sacralisation suprême pour ce maillot qui va devenir très vite le symbole du courage, de l’audace, du panache et de la réussite.

Tous ceux qui l’ont porté le disent : dans la vie d’un coureur cycliste, il y a avant et après. Toucher le Graal bien sûr en gagnant le Tour de France et en revenant en jaune à Paris, mais aussi simplement le revêtir pendant la course, une semaine, un jour, quelques minutes comme André Darrigade en 1961, ou Romain Feillu – 40 minutes seulement en 2008. Porteurs d’un jour ou vainqueurs de cinq Tours, ils l’avouent tous : « C’est un rêve de gosse. » Un vrai soleil de juillet, une récompense sacrée qui ne peut se galvauder, comme la victoire sur un sommet de haute montagne. Combien d’entre eux, le soir où ils ont récupéré l’objet de tant de convoitises, l’ont simplement posé sur une chaise en face de leur lit pour l’admirer et commencer seulement à réaliser.

Passionnés de vélo ou simples spectateurs du Tour, vous pouvez comprendre que ce serait un véritable sacrilège pour un cycliste amateur de rouler le dimanche entre amis avec un tel symbole sur les épaules. On peut jouer au football ou au rugby avec le maillot de l’équipe de France ou du Brésil, il est impossible de porter cet objet sublime sans qu’on crie au sacrilège. Dans notre documentaire sur les histoires du maillot jaune, Bernard Thévenet (double vainqueur du Tour de France) résume tout : « En prenant le maillot jaune, j’ai eu le sentiment de donner du bonheur à des millions de gens ! » 

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