Le fameux « eurêka » de Jean-François Champollion date du 14 septembre 1822. Ce jour-là, à Paris, le chercheur, âgé de 32 ans, fait irruption dans le bureau de son frère aîné, à l’Institut, pour lui crier dans un souffle : « Je tiens l’affaire ! » Et, paraît-il, il perd connaissance… Champollion vient de comprendre que l’écriture hiéroglyphique peint « tantôt les idées, tantôt les sons d’une langue ». Ce trait de génie donne naissance à une nouvelle discipline scientifique : l’égyptologie.

La redécouverte de l’Égypte ancienne a commencé trois ou quatre siècles plus tôt. À la Renaissance, les Européens se tournent vers l’Antiquité qui leur apparaît comme la source de la sagesse et de la vérité. Et qui y a-t-il de plus antique que la civilisation pharaonique ? Grâce à l’imprimerie, on se replonge dans les récits des auteurs grecs et latins : Hérodote, Strabon, Plutarque, Diodore de Sicile… Aucun d’eux ne savait lire les hiéroglyphes. Et, à la Renaissance, on n’est pas plus avancé. Personne dans le monde n’est capable de déchiffrer cette écriture, pourtant très imagée, dont les règles se sont perdues au IVe siècle de notre ère quand l’Égypte est devenue chrétienne. On ne comprend donc à peu près rien à cette civilisation aussi mystérieuse que fascinante.

En effet, comment ne pas être attiré par ces merveilleux vestiges, si bien conservés dans le sable ? Et que dire des momies, ces « corps confits », comme l’écrivait un voyageur français du XVIe siècle ? En France, des apothicaires commercialisent une pâte ou une poudre noirâtre supposée provenir de leur combustion, appelée mummia, à laquelle on attribue toutes sortes de vertus médicinales.

À défaut de comprendre l’écriture égyptienne et tout ce qu’elle recouvre, on fantasme. L’ésotérisme est alimenté par des documents douteux, censés donner la clé des hiéroglyphes. Un jésuite allemand, Athanase Kircher (1602-1680), auteur de plusieurs découvertes, contribue à enfumer les esprits en publiant de prétendues traductions des textes gravés sur des obélisques. Cela ne fait qu’entretenir l’idée d’une langue mystérieuse, renfermant des doctrines occultes, qui aurait été réservée à quelques initiés. Pourtant, avant de dériver vers l’ésotérisme, Kircher a eu une excellente intuition : il a étudié le copte qui, à son époque, n’est déjà plus utilisé que dans la liturgie des chrétiens d’Égypte. Or, il s’agit du dernier avatar de la langue des pharaons. La difficulté, c’est que le copte s’écrit pour l’essentiel avec les lettres de l’alphabet grec.

Après Kircher, on va assister pendant près de deux siècles à quelques légères avancées. En 1738, l’évêque anglican de Gloucester, William Warburton subodore que les hiéroglyphes pourraient avoir une signification phonétique. Quelques décennies plus tard, un numismate danois, Georg Zoëga, possédant bien le copte, arrive à une conclusion similaire. Pour sa part, l’abbé Barthélemy, conservateur au Cabinet des médailles, à Paris, a compris que les ovales qui entourent certains groupes de hiéroglyphes (les cartouches) renferment des noms royaux.

L’Égypte est la terre de la curiosité par excellence. Des pèlerins chrétiens qui se rendent à Jérusalem font un détour par Le Caire, sur les traces présumées de la Sainte Famille, ou dans le Sinaï, pour prier sainte Catherine et recueillir des reliques de cette martyre. Ils ne s’intéressent pas aux pharaons. Les grandes pyramides passent alors pour d’anciens silos à grains, les « greniers de Joseph ». Les monuments pharaoniques déroutent complètement ces Européens parce qu’ils ne correspondent en rien aux canons de l’art grec.

Les grandes pyramides passaient pour d’anciens silos à grains

L’Égypte assiste par la suite à l’arrivée d’un nouveau type de voyageurs : non plus des pèlerins, mais des explorateurs, souvent mandatés par leur gouvernement. Ils sont chargés de recueillir des objets destinés à enrichir les collections royales, mais aussi de décrire les monuments et de copier les inscriptions qu’ils pourraient y trouver. Ces voyageurs professionnels, auxquels s’ajoutent des missionnaires, font progresser les connaissances historiques, géographiques et ethnographiques des Occidentaux, malgré de grossières erreurs contenues dans leurs rapports. Les ouvrages du Danois Frédéric Norden ou de l’Anglais Richard Pococke, publiés à leur retour, connaissent un grand succès.

 

La pierre de Rosette

L’exploration de l’Égypte prend une tout autre ampleur en 1798 quand Napoléon Bonaparte part à la conquête de ce pays, avec l’intention de couper la route des Indes aux Anglais. À la tête de quelque 50 000 hommes, il emmène aussi 167 civils de toutes les disciplines : ingénieurs, architectes, orientalistes, astronomes, chimistes, naturalistes… Grâce au travail minutieux de ces « savants et artistes », rassemblé dans une monumentale Description de l’Égypte, le pays des pharaons sera révélé au reste du monde.

En juillet 1799, c’est de manière tout à fait fortuite que les Français ont découvert une stèle d’un peu plus d’un mètre de hauteur, dans une forteresse arabe de la ville de Rosette. Ils en comprennent tout de suite l’importance. Sur l’une des faces, bien polie, sont gravés trois textes : en grec, en hiéroglyphes et dans une écriture cursive inconnue dont on découvrira plus tard qu’il s’agit d’une simplification des hiéroglyphes, le démotique. Le texte grec indique que ce document doit être affiché dans tous les temples d’Égypte, en grec, dans la langue sacrée (c’est-à-dire les hiéroglyphes) et dans la langue locale. Autrement dit, pour la première fois, on dispose d’un document trilingue. Ou, plus exactement bilingue – grec/égyptien – en trois écritures. Ne va-t-on pas enfin percer le mystère ? Mais, après des jours et des nuits de travail, les savants de Bonaparte déclarent forfait : ils n’ont même pas réussi à repérer les signes qui correspondent aux noms propres gravés en grec. La stèle est mise de côté, tandis que des estampages sont envoyés à diverses universités d’Europe.

Lors de la défaite de l’armée française, en 1801, la pierre de Rosette est saisie par les Anglais, qui s’empressent de la transporter à Londres. Dans les années suivantes, quelques grands esprits de l’époque vont se servir de

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