L’instant décisif était arrivé. Les mains tremblantes, je pratiquai une petite ouverture dans le coin supérieur gauche. J’y introduisis une tige de fer qui ne rencontra que le vide. Puis je plaçai une bougie devant l’ouverture, pour m’assurer qu’il n’y avait pas d’émanations dangereuses, élargis le trou – et regardai. Anxieux, Lord Carnarvon, Lady Evelyn et Callender se tenaient près de moi.

D’abord, je ne vis rien ; l’air chaud qui s’échappait de la chambre faisait clignoter la flamme de la bougie. Puis, à mesure que mes yeux s’accoutumaient à l’obscurité, des formes se dessinèrent lentement : d’étranges animaux, des statues, et partout le scintillement de l’or. Pendant quelques secondes – qui durent sembler une éternité à mes compagnons – je restai muet de stupeur. Et, lorsque Lord Carnarvon demanda enfin : « Vous voyez quelque chose ? », je ne pus que répondre : « Oui, des merveilles ! » Alors, j’élargis encore l’ouverture pour que nous puissions voir tous les deux. 

L’air qu’on respire, le même depuis des millénaires, on le partage avec ceux qui déposèrent la momie dans sa sépulture

Tous les fouilleurs connaissent ce sentiment de respect – presque de gêne – qu’on éprouve lorsqu’on pénètre dans une chambre fermée par des mains pieuses des siècles auparavant. Un instant, le temps s’abolit. Trois mille, quatre mille ans peut-être, se sont écoulés depuis qu’un pied a foulé pour la dernière fois ce sol. Et pourtant, à mesure qu’on note les traces de vie autour de soi – le bol à moitié rempli de mortier, la lampe noircie, l’empreinte de doigts sur une surface récemment peinte, la guirlande d’adieu posée sur le seuil –, on a l’impression que c’était hier. L’air qu’on respire, le même depuis des millénaires, on le partage avec ceux qui déposèrent la momie dans sa sépulture. Et chacun de ces petits détails vivants accroît votre sentiment de vous comporter en intrus.

Telle est bien la première impression. Mais, bientôt, d’autres vous assaillent, puissantes et rapides – la joie de la découverte, l’impulsion, presque irrésistible, de briser les scellés pour ouvrir les boîtes, la pensée qu’on est sur le point d’ajouter une page à l’histoire de l’humanité ou de résoudre un problème jusque-là insoluble, l’espoir insensé aussi, du chercheur de trésors. Ces pensées me traversèrent-elles vraiment l’esprit à ce moment-là, ou me sont-elles venues depuis ? Je ne saurais le dire.

Jamais, sans doute, dans toute l’histoire de l’archéologie égyptienne, il n’a été donné à quiconque de contempler un spectacle aussi étonnant. Les photographies qui ont été publiées par la suite furent prises après qu’on eut ouvert la tombe et installé l’électricité. Il faut imaginer comment les objets nous apparurent, à la lumière de notre lampe – première lueur à percer l’obscurité de l’hypogée depuis trois mille ans. L’effet était inouï, bouleversant. Je crois que nous n’avions jamais vraiment formulé en termes exacts ce que nous nous attendions à voir. En tout cas, nous n’avions certainement jamais rêvé pareille chose : toute une salle remplie d’objets dont certains nous étaient familiers, d’autres inconnus, empilés les uns sur les autres avec une profusion apparemment inépuisable.

Sur le seuil de la chambre, nous aperçûmes une magnifique coupe d’albâtre translucide en forme de lotus

Graduellement, la scène se fit plus nette, et nous commençâmes à distinguer quelques objets. D’abord, juste en face de nous (nous avions enregistré leur présence dès le début sans vraiment y croire), se trouvaient trois grands lits funéraires dorés, dont les montants sculptés figuraient des animaux monstrueux, au corps curieusement étiré, mais dont les têtes étaient d’un réalisme étonnant. N’importe où, ils auraient été inquiétants, mais tels qu’ils nous apparaissaient ici, brillant de tout leur or sous la lumière de notre torche, leurs têtes projetant des ombres grotesques sur les murs, ils devenaient terrifiants. Puis, sur la droite, deux statues attirèrent notre attention. Deux statues du roi, en bois, grandeur nature, se faisant face telles des sentinelles, habillées d’un pagne et de sandales d’or, armées d’une massue et d’une longue canne, portant au front le cobra sacré.

Et partout, et toujours, empilés les uns sur les autres, par centaines, des coffres peints et délicatement incrustés, des vases d’albâtre aux décors ajourés, d’étranges coffres noirs, la porte de l’un laissant échapper un gros serpent doré, des bouquets de fleurs et de feuilles, des lits, des chaises magnifiquement sculptées, un trône en or, de curieuses boîtes oblongues, des cannes de toutes tailles. Sur le seuil de la chambre, nous aperçûmes une magnifique coupe d’albâtre translucide en forme de lotus. À gauche, une pile confuse de chars démontés, étincelants d’or et de pierres incrustées. Et, derrière, nous épiant, une autre statue du roi.

Nous n’étions qu’au seuil de notre découverte

Je ne crois pas que nous ayons remarqué tout cela sur l’instant. Nous étions beaucoup trop émus pour tout enregistrer avec précision. Mais, brutalement, une constatation s’imposa à nous : il n’y avait ni sarcophage ni momie ! C’était donc bien une cachette, comme nous le supposions. Nous examinâmes à nouveau la chambre pour bien nous en assurer. C’est alors seulement que nous remarquâmes qu’entre les deux sentinelles noires se dessinait une autre porte scellée. Peu à peu, l’explication se fit jour dans notre esprit. Nous n’étions qu’au seuil de notre découverte. La salle où nous nous trouvions n’était qu’une antichambre. Derrière cette nouvelle porte, il y avait certainement une autre chambre, plusieurs peut-être. Et dans l’une d’entre elles, sans l’ombre d’un doute, devait reposer le pharaon dans toute sa magnificence funéraire. 

La Fabuleuse Découverte de la tombe de Toutankhamon, trad. de Martine Wiznitzer © Pygmalion, 1978 Illustration édouart Pont

 

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