En 2012, Obama avait été plébiscité à 55 % par les femmes américaines, approchant même les 60 % chez les jeunes femmes. Le paradoxe est qu’Hillary Clinton a peiné à les convaincre – surtout les femmes jeunes. Comment l’expliquez-vous ?

La difficulté d’Hillary Clinton à obtenir l’adhésion des jeunes femmes est d’abord liée au fait que l’idée d’élire une femme n’est plus un événement extraordinaire pour les moins de 30 ans. Elles ont du mal à envisager que le plafond de verre existe toujours et que le féminisme reste utile. Elles perçoivent difficilement qu’il subsiste des combats à mener. En revanche, chez celles qui ont plus d’expérience, la propension à voter pour une femme est plus marquée. Ensuite, les jeunes femmes rechignent un peu à voter pour l’héroïne de leur mère – ou même de leur… grand-mère. Enfin, le troisième motif est qu’Hillary Clinton ne suscite pas beaucoup d’enthousiasme en général. Les jeunes attendaient quelqu’un de plus exaltant, de plus radical, ce qu’Hillary n’est pas du tout.

Et puis est venue, il y a un mois, la divulgation de propos de Donald Trump, prononcés en 2005, outrageants envers les femmes. Là, on a constaté un clair basculement dans les intentions de vote des femmes américaines. Le rappel de ces paroles anciennes de Trump a balayé les réticences, tant elles sont choquantes et résonnent de façon puissante chez les femmes de toutes les générations. Pour la plupart d’entre elles, il devenait impossible de voter pour un candidat tenant un tel discours. 

J’ajouterai qu’Hillary Clinton a eu lors du troisième débat avec Donald Trump des mots sur le droit à l’avortement qui se sont avérés déterminants. Depuis les années 1950, ce sujet est au cœur des préoccupations des femmes aux États-Unis. Là, soudain, Mme Clinton a clairement dit : ce n’est pas à l’État de décider sur ce sujet, c’est à nous, les femmes, de le faire. Ce discours a évidemment porté, comme a été aussi très importante l’intervention de Michelle Obama, qui est aujourd’hui au zénith de sa popularité. 

Y a-t-il un nouvel électorat féminin aux États-Unis et quelles sont ses caractéristiques ? 

Ce nouvel électorat féminin est incarné, par exemple, par ces jeunes femmes, désormais plus nombreuses que les hommes parmi les étudiants, qui se sont mobilisées pour Bernie Sanders lors des élections primaires démocrates. Elles sont prioritairement soucieuses de sortir de la crise de la dette estudiantine – un problème considérable. Pour le reste, l’électorat féminin poursuit l’évolution qui était la sienne lors des récents scrutins présidentiels, c’est-à-dire qu’il est de plus en plus liberal, un terme qui signifie « progressiste » en américain.

Justement, l’électorat féminin américain a longtemps été plus conservateur que l’électorat masculin. Le renversement des tendances politiques entre hommes et femmes depuis les années 2000 est-il structurel ou conjoncturel ?

Sur les enjeux de société – avortement, port d’armes, droits des homosexuels, etc. –, les femmes semblent être de plus en plus progressistes. C’est une tendance lourde qui a démarré dans les années 1950 et se confirme sur la durée. On a constaté à partir des années 1990 un retour de bâton qui s’est manifesté par le raidissement de la « droite morale », focalisée sur le contrôle de la sexualité des femmes et des citoyens en général – contre le droit à l’avortement, contre les gays, etc. Cette droite religieuse s’en est ainsi prise au Planning familial, un organisme important pour les Américaines les plus défavorisées. Du coup, on a constaté un glissement croissant des femmes : la majorité d’entre elles ont tourné le dos au Parti républicain. 

Ce parti est-il capable de reconquérir le vote féminin dans l’avenir ?

Il y a de quoi être inquiet pour les républicains. Ce parti connaît une révolte interne depuis vingt ans, entre sa frange traditionnelle, focalisée sur les enjeux économiques du type défense du marché, liberté du commerce, etc., largement majoritaire parmi ses cadres, dans les médias et parmi les grands donateurs, et une base de plus en plus mobilisée autour des « valeurs morales », que Trump a amenée aux extrêmes. Mais aujourd’hui, pour cette fameuse base de Blancs racistes, qui ne représente que 20 % ou 25 % de la population, il n’y a pas d’autre organisation politique vers laquelle se tourner. Elle va donc rester captive du Parti républicain tout en continuant de le paralyser. Or, électoralement, le parti aurait besoin de s’ouvrir aux femmes, aux Noirs, aux Hispaniques, aux gens éduqués, à toutes ces catégories que sa base activiste fait fuir. Aujourd’hui, les républicains ont énormément de points à rattraper auprès de ces diverses populations pour reconquérir un jour la Maison-Blanche. 

 

Propos recueillis par S.C.

 

 

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