Tombstone est une ancienne ville minière d’Arizona, proche de la frontière mexicaine. Jaillie d’un coup de pioche dans un filon d’argent, elle se voit propulsée dans la postérité un 26 octobre 1881. Ce jour-là, dans l’enceinte d’O.K. Corral, le marshal Wyatt Earp, ses frères et leur ami Doc Holliday règlent leur compte à une bande de cowboys sans foi ni loi. Trente secondes de feu qui inspireront une bonne dizaine de films et un nombre incalculable de textes. Le nom d’O.K. Corral est depuis passé dans le langage courant, synonyme d’une Amérique qui applique le droit au revolver.

Je m’y suis rendu au début de la campagne électorale, lorsque le monde découvrait, ébahi, la popularité de Donald Trump. Sur Allen Street, la rue centrale, l’entrée d’un magasin affichait cet avertissement : « Politiciens, ôtez la merde de vos bottes avant d’entrer ! » Plus loin, j’ai rencontré Kenn et David. Avec sa moustache et son cache-poussière, le premier était déguisé en Wyatt Earp. Le second arborait la barbichette de Doc Hollyday. Ils n’étaient pas les figurants d’un parc d’attractions. Juste deux retraités qui avaient choisi de vivre parmi les fantômes de l’Ouest. 

« Ici, il doit bien y avoir quelques démocrates, m’a confié David. Mais ils préfèrent la boucler. » Il avait fait carrière dans la restauration, ouvert une dizaine d’établissements et inventé une recette de sauce barbecue. Kenn possédait une ceinture noire de taekwondo et un doctorat de psychologie. Il avait combattu au Vietnam avant d’intégrer la police de Los Angeles. On s’est attablés au Crystal Palace, on a bu des limonades. « Si Clinton est élue, s’inquiétait Doc, elle va confisquer nos flingues. Et ça ne se passera pas comme ça. – On n’est pas en Angleterre où les policiers ne sont pas armés », a précisé Kenn. David a repris : « Les Français ont ouvert leurs frontières, on voit le bilan. Juste à côté d’ici, les cartels mexicains sont armés jusqu’aux dents et on songe à nous retirer nos revolvers ? » Et puis, il y avait une question de principe : « Dieu a créé les hommes, Sam Colt les a rendus égaux. »

La serveuse portait des bas résille et un corset lacé serré. Sur scène, le chanteur entamait Knockin’ on Heaven’s Door. « Nous sommes un peu nostalgiques, a poursuivi Doc. S’installer ici est certainement une façon de vivre dans le passé. » Dans quel passé ? Celui des historiens ou celui de Hollywood ? Depuis longtemps, la différence n’a plus d’importance. Kenn connaissait l’histoire de Tombstone et convenait qu’aucun film ne racontait la vérité : « Ça m’est égal. Les légendes attirent encore les gens ici, et maintiennent la ville en vie. » En effet, à la nuit tombée, Tombstone rendait les armes au désert. Vidée de ses touristes, Allen Street n’était plus vêtue que d’une poussière orangée et de la lueur de cabarets qui proposaient des séances de spiritisme.

J’ai passé 48 heures dans cette étrange bourgade. Ses habitants allaient voter Trump. Ils n’étaient ni rustres, ni dopés à Fox News. Beaucoup étaient éduqués, tous étaient courtois. Ils paraissaient unis par la mélancolie, un sentiment de disparition. À l’avenir, qui saurait encore raconter leur mythe ? J’ai quitté Tombstone par la 80, en suivant un pick-up Chevrolet. Sur sa lunette arrière un autocollant disait : « Dieu bénisse John Wayne. »  

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