On ne lit plus beaucoup Jules Supervielle, comme si on lui reprochait de rester limpide même face au mystère. Sa poésie est pourtant attentive à la nature et aux souffrances humaines : de quoi la rendre indispensable en ces temps de crise écologique. C’est en éclairant nos contradictions et nos gouffres intimes que nous habiterons mieux la Terre. 

Mon Dieu, je ne crois pas en toi, je voudrais te parler tout de même ;
J’ai bien parlé aux étoiles bien que je les sache sans vie,
Aux plus humbles des animaux quand je les savais sans réponse,
Aux arbres qui, sans le vent, seraient muets comme la tombe.
Je me suis parlé à moi-même quand je ne sais pas bien si j’existe.
Je ne sais si tu entends nos prières à nous les hommes,
Je ne sais si tu as envie de les écouter,
Si tu as comme nous un cœur qui est toujours sur le qui-vive,
Et des oreilles ouvertes aux nouvelles les plus différentes.
Je ne sais pas si tu aimes à regarder par ici,
Pourtant je voudrais te remettre en mémoire la planète Terre,
Avec ses fleurs, ses cailloux, ses jardins et ses maisons.
Avec tous les autres et nous qui savons bien que nous souffrons.
Je veux t’adresser sans tarder ces humbles paroles humaines
Parce qu’il faut que chacun tente à présent tout l’impossible,
Même si tu n’es qu’un souffle d’il y a des milliers d’années,
Une grande vitesse acquise, une durable mélancolie
Qui ferait tourner encor les sphères dans leur mélodie.
[…]

« Prière à l’inconnu » (extrait), La Fable du monde © Éditions Gallimard, 1938, 1987

 

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