Pourquoi avoir choisi d’étudier la spiritualité du point de vue de la neurologie ?

Très tôt dans ma vie, je me suis questionné sur ce qu’était la réalité et sur la manière dont nous, humains, percevions le monde qui nous entoure. Je me demandais pourquoi, alors que nous faisons tous l’expérience d’un même monde, nous ne voyons pas les mêmes choses, ne partageons pas tous les mêmes croyances religieuses ou politiques. J’ai voulu creuser la question par le biais des neurosciences car, en bon cartésien, c’est ce qui me paraissait le plus pertinent, mais j’ai rapidement compris qu’aussi formidable soit la science, elle se confronte à ses propres limites quand il s’agit d’étudier la conscience et l’expérience subjective que les humains font du monde. J’ai donc intégré dans mon travail d’autres disciplines, à savoir les études religieuses, la philosophie, l’anthropologie, la psychologie et la médecine. La neurothéologie est une approche multidisciplinaire.

Étudier les expériences religieuses pour mieux comprendre la réalité, n’est-ce pas un peu paradoxal ?

Non, pas à mon sens. Pour déterminer que quelque chose est réel, nous n’avons finalement que nos sens. Si je vous dis qu’un bonhomme vert est assis sur mon épaule et me dicte les réponses à vos questions, vous direz que je suis fou, tout simplement parce que vous ne le voyez pas. En revanche, vous considérerez que mon chien assis sur mes genoux, parce que vous le voyez, est réel. Or un point commun à toutes les personnes qui ont eu une expérience spirituelle intense, c’est une sensation de réalité décuplée. Tous parlent d’une réalité plus forte que celle expérimentée dans la vie quotidienne, de la même manière que cette dernière nous paraît plus réelle qu’un rêve. Les expériences spirituelles donnent à ceux qui les vivent l’impression de voir le monde tel qu’il est réellement, quel que soit le mot que la personne pose sur cette réalité. Un chrétien appellera cela Dieu ; un bouddhiste ou un hindou, la conscience. Un athée parlera davantage d’univers interconnectés. Je ne dis pas qu’ils ont raison ou tort, mais ces expériences sont les seules occasions connues de sensation d’hyper-réalité. Il est donc pertinent, à mon sens, de les étudier.

« Les expériences spirituelles donnent à ceux qui les vivent l’impression de voir le monde tel qu’il est réellement »

Sommes-nous biologiquement prédisposés à croire en une puissance supérieure ?

Nous vivons dans un univers infini, dont seule une part minuscule est accessible à notre compréhension. Pourtant, notre cerveau essaie en permanence de nous convaincre que nous comprenons ce qui se passe dans le monde. Il est, en ce sens, une machine à fabriquer des croyances. Il y est contraint : comment interagir avec d’autres humains, sans croyances ? Je crois, par exemple, que si je suis amical avec vous, vous le serez en retour. À l’inverse, j’imagine que si je suis agressif envers vous, vous le serez envers moi. Ce ne sont que des croyances, mais elles me permettent de me comporter face à vous. Notre vie quotidienne entière est construite sur des croyances, fruit de nos expériences passées et de notre éducation. Nous cherchons en permanence à construire une histoire pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. C’est un peu comme un mode qu’aurait trouvé notre cerveau pour survivre. L’athéisme lui-même est une croyance, tout comme l’est la science, en un sens. Nous sommes forcés de considérer certaines choses comme acquises, nous n’avons pas le choix. Il faut bien commencer quelque part. C’est ce même mécanisme qui est à l’œuvre avec la croyance religieuse, quand il s’agit de trouver un sens à notre existence sur Terre. Ce sont les mêmes aires cérébrales qui s’activent.

Il y a ici un paradoxe : le cerveau serait biologiquement prédisposé à croire à une puissance supérieure et, en même temps, l’instant où nous essayons de penser à l’éternité, l’idée nous échappe.

Le cerveau humain est remarquable à cet égard. Cela nous ramène aux expériences spirituelles dont nous parlions plus tôt. Le cerveau semble en réalité capable de « penser » l’éternité dans certaines circonstances, comme celles de l’éveil spirituel, que ceux qui le vivent qualifient souvent d’ineffable ou d’indescriptible. Nous l’avons étudié en neuro-imagerie, notamment auprès de méditants qui, au moment où ils sentaient arriver le stade de l’extase, nous prévenaient en tirant sur une cordelette. Il est apparu que l’aire associative pour l’orientation, localisée dans la partie postérieure du lobe pariétal, s’inhibait au moment t. Cette aire, qui reçoit les informations sensorielles, nous permet habituellement de créer un sentiment tridimensionnel de notre corps. Son inhibition explique cette sensation décrite par les méditants de ne faire plus qu’un avec le monde, ce « sentiment océanique » que décrit Romain Rolland.

« Les croyances et les pratiques religieuses ou spirituelles peuvent s’avérer bénéfiques pour la santé mentale et, dans une plus large mesure, pour la santé physique. »

Vous avez aussi étudié le rituel. Quel rôle joue-t-il dans la croyance ?

En anglais, il existe une expression qui dit : « Neurons that fire together wire together. » Cela signifie que des neurones activés simultanément de manière répétitive finiront par s’associer, ce qui fera que l’activité de l’un facilitera l’activité de l’autre. Le rituel, comme la méditation ou la prière, crée cette répétition et quand cette pratique est associée à une croyance, elle aura tendance à la renforcer. C’est un fait intéressant qui permet de mieux comprendre aussi le phénomène de l’endoctrinement. Il sous-entend que des croyances peuvent être modifiées. La recherche sur le sujet n’en est qu’à ses balbutiements…

Quel est l’intérêt thérapeutique d’étudier ces phénomènes spirituels ?

Il apparaît de plus en plus clair que les croyances et les pratiques religieuses ou spirituelles peuvent s’avérer bénéfiques pour la santé mentale et, dans une plus large mesure, pour la santé physique. De nombreuses études ont montré que les personnes religieuses ont tendance à être moins sujettes à la dépression et à l’anxiété, et ont un taux de suicide plus faible. Des pratiques telles que la méditation, la prière ou le yoga – toutes issues de traditions spirituelles bien que certaines d’entre elles soient aujourd’hui sécularisées – réduisent le stress et l’anxiété. Moins de stress signifie un rythme cardiaque moins élevé et un système immunitaire plus efficace.

Faut-il en conclure que, pour être plus heureux, chacun devrait avoir une vie spirituelle ?

Ce que nous avons vérifié, et qui est particulièrement important en matière de santé mentale, c’est que plus vous croyez en une pratique, plus celle-ci sera efficace et bénéfique. Nous avons réalisé des études dans lesquelles, lorsque des personnes avaient une pratique qui n’était pas alignée sur leurs croyances, ou qu’elles s’y livraient de manière très basique, on observait des changements minimes dans le cerveau ; à l’inverse, les changements étaient bien plus notables chez les personnes qui mettaient en œuvre des pratiques dans lesquelles elles croyaient fermement. En d’autres termes, si vous demandez à un musulman de faire un rosaire, les effets bénéfiques sur sa santé mentale seront moindres que si vous le demandez à un chrétien. En revanche, il semble bénéfique d’encourager les gens à poursuivre leur propre système de croyances. Y compris les athées ! Aller se promener dans les bois, faire quelque chose de charitable, prendre soin des gens autour de soi… si on croit au bien-fondé de ces actions, l’effet sur la santé sera bénéfique. Cette constatation est importante car elle renforce l’idée qu’il n’est pas approprié de demander aux gens de se plier à des pratiques auxquelles ils ne croient pas. 

 

Propos recueillis par MANON PAULIC

 

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