Spécialiste de la sociologie du pouvoir et des phénomènes de violence morale, Marc Joly vient de publier La Pensée perverse au pouvoir. Il y éclaire la crise démocratique à l’aune de la personnalité « toxique » du président. Extrait.

 

« Si la Ve République n’avait pas été la Ve République, il [Emmanuel Macron] n’aurait pas cherché à être président de la République » : s’il fallait se convaincre que « la crise démocratique » actuelle trouve bien « sa source dans le mode de fonctionnement de la Ve République », cette affirmation de Richard Ferrand à elle seule pourrait suffire.

Mais Emmanuel Macron a moins fait « dérailler » la Ve République qu’il n’en a révélé les vices rédhibitoires : vice de conception (un texte qui ne tranche pas entre les logiques du régime présidentiel et du régime parlementaire) ; et, si l’on peut dire, vice de reconception (l’élection du président de la République au suffrage universel, décidée par référendum en 1962, et qui a clairement contribué à renforcer son irresponsabilité et à rendre impossible la fonction de Premier ministre).

L’écrivain et journaliste Jean-François Revel, dans un pamphlet publié en 1992, identifiait déjà tous ces vices de l’absolutisme présidentiel que le jusqu’au-boutisme macronien aura eu le mérite de rendre proprement insupportables : l’écrasement par la présidence de la République de « toutes les autres autorités légitimes » ; « l’irresponsabilité présidentielle » (notamment devant les Chambres), « grande maladie du régime. Et (...) maladie contagieuse, qui se répand du haut en bas de l’appareil d’État » ; en conséquence, « l’arrogance et la suffisance dans le mensonge, destiné à masquer les erreurs », sans oublier le « syndrome de l’omniscience » et la « bouffissure » de « l’État bavard » ; et finalement, « détourné de son devoir envers l’intérêt général, l’appareil d’État devient une machine de plaisir et de profit entre les mains de son chef et de ses amis ».

En clair, la tendance pathologique de Macron à se défausser de toute responsabilité, en un temps où ce type de comportement est associé à de l’abus émotionnel, à de la violence morale, met en évidence la totale irresponsabilisation de la présidence de la République, et forcera sans aucun doute à y remédier. Son égocentrisme maladif rend manifestes les dangers de l’égocratie inscrite dans les textes. Quant à son « assurance de la connaissance » (dixit Brigitte Macron), ce sentiment puéril qu’il a de tout savoir mieux que tout le monde, elle aide à prendre conscience de l’« illusion solitaire de l’omniscience », si facilement susceptible d’être produite par l’institution présidentielle en tant que telle.

Toute son agitation et les cérémonies de commémoration qu’il préside à la chaîne ne pourront rien y changer : Emmanuel Macron n’a aucun titre à faire valoir pour prétendre à incarner la France et « l’héroïsme en politique ». Et en aurait-il qu’une telle prétention est désormais irrecevable, anachronique, et l’expose constamment au ridicule et à la moquerie. Il est persuadé de détenir le trésor d’une parole thaumaturge. Hanté par le passé et par l’action de ses prédécesseurs à l’Élysée, il n’a pourtant aucun sens de la continuité historique. On n’intègre le noyau pervers constitué autour de sa personne qu’à une condition : le valoriser, et ceux (exclusivement des hommes) qui y parviennent le mieux ont compris qu’il a besoin qu’on lui fournisse une épaisseur historique empruntée. Il faut chaque jour l’alimenter en comparaisons historiques, en l’incitant à mimer le passé, mais aussi l’entretenir dans l’idée qu’il est incomparable, unique, et qu’il fait ce qui n’a jamais été fait avant lui. Aussi croit-il très sérieusement être non pas l’égal du général de Gaulle, mais celui qui le surpasse : n’a-t-il pas réussi, lui, à être élu au suffrage universel direct deux fois d’affilée (et hors cohabitation) ? 

Extrait de La Pensée perverse au pouvoir © Anamosa, 2024

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