Dans le grand livre des objets astronomiques, les trous noirs occupent une place de choix. Leur nom évocateur, mystérieux et inquiétant à la fois, ainsi que le rôle qu’ils ont joué dans la compréhension des phénomènes gravitationnels extrêmes en font des astres à part.

Conceptuellement, un trou noir est un objet simple : il est si compact que la vitesse qu’il faudrait posséder pour échapper depuis sa surface à son intense champ de gravitation est supérieure à celle de la lumière. Or comme rien ne peut aller plus vite que la lumière, un trou noir est une région de l’espace dont rien ne peut sortir, et qui apparaîtra invariablement noire.

Mais quand on essaie de le décrire plus en détail, l’affaire se complique. Loin de cet objet, la structure de son champ gravitationnel est comparable à celle de la théorie de Newton, suffisante pour expliquer la majeure partie des phénomènes gravitationnels. Mais plus près, l’interprétation de cette solution est du ressort de la seule relativité générale et a longtemps laissé les scientifiques perplexes, Einstein en tête, au point d’en amener certains à douter du bien-fondé de la théorie qui les décrivait. Longtemps par exemple, on a buté sur le sens physique à donner à ­l’horizon, c’est-à-dire la frontière invisible qui sépare l’intérieur de l’extérieur du trou noir, que les scientifiques appelaient à cette époque « sphère magique », en guise d’aveu de l’incompréhension dans laquelle ils étaient plongés.

Ce n’est qu’à la toute fin des années 1930 que les principaux paradoxes soulevés par ces objets commencèrent à être résolus. Les trous noirs acquirent alors une certaine cohérence mathématique, mais existaient-ils vraiment ? Il faudra près d’un quart de siècle pour commencer à s’en convaincre, en réalisant qu’ils pouvaient représenter l’issue possible de l’évolution d’une étoile massive. Restait ensuite à démontrer concrètement leur existence via des observations astronomiques, mais comment obtenir une image d’un objet qui par définition est invisible ? 

Si un trou noir n’émet en lui-même aucune lumière, il n’en est pas de même de la matière qu’il est éventuellement amené à engloutir. Celle-ci spirale d’abord lentement, puis de plus en plus vite autour de l’astre, se comprime, s’échauffe jusqu’à plusieurs millions de degrés, émettant un flux intense de rayons X, filtré par l’atmosphère terrestre, mais détectable depuis l’espace. Ce n’est donc qu’après le début de l’ère spatiale, dans les dernières années de la décennie 1970, que les premiers « candidats trous noirs », comme on les appelait prudemment alors, furent découverts, ce qui amena les scientifiques à se demander à quoi concrètement ressemblerait un trou noir vu de près : il fallait, à l’évidence, que la réalité de ces objets soit établie pour que l’on se pose enfin la question de leur aspect.

Les progrès de l’informatique aidant, des simulations de plus en plus précises virent peu à peu le jour, parfois à visée scientifique, puis, du fait de l’intérêt croissant du public pour ces objets, dans un but de divertissement. Car, même dans l’immensité du ciel, quoi de plus grandiose et fascinant que ces cadavres d’étoiles massives, jadis les plus brillantes du cosmos, désormais transformées pour toute éternité en puits sans fin dont rien ne peut s’échapper ? La science-fiction s’empara du sujet en moins de temps qu’il n’en avait fallu aux scientifiques pour le comprendre et le déclina à sa façon, sans forcément prétendre à la rigueur, mais en y rajoutant poésie, aventure ou souffle épique. Et c’est ainsi que grâce au film Interstellar, une représentation à très haute résolution et à peu près fidèle de ces objets longtemps mystérieux fut primée aux Oscars en cette année du centenaire de la théorie qui les a fait naître, preuve si besoin que nul ne peut prédire l’impact qu’aura à long terme une découverte scientifique... 

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