Les virus ont envahi l’informatique, la finance et, aujourd’hui comme naguère, ils envahissent les corps. Face à cette reprise de la métaphore virale dans toutes les sphères, on peut interroger cette mutation, non pas génétique mais langagière, de notre pensée du monde. Les blocs de guerre froide, comme la glace, ont fondu. Ils restent des espaces fluides, des rivières, des cours d’eau, c’est-à-dire des réseaux, des mouvements, des échanges où les éléments circulent. La pensée globale du monde a changé, notre pensée du monde global, plus exactement, a changé (la nôtre, parce qu’il en existe de multiples autres). Nous sommes passés dans une vision différente et le multipolaire, ainsi que les réseaux, semble nous ouvrir un monde nouveau.

Alors, quand arrive un véritable virus, qui s’attaque aux corps, nous voici comme pris de panique, et pris de court : l’essence même du monde est en jeu. Il attaque l’espèce, d’une part, et menace tout le système fondé sur la circulation, d’autre part ; nous, et nos liens ; les individus, et les contacts entre eux ; et puis nous sommes à court de métaphore ! La métaphore-racine, la matrice de toutes les autres, celle qui par essence fait peur lorsqu’on la déploie sur un autre plan, se met à exister : au fond, c’est la peur elle-même, la peur bleue, la peur blanche, la peur tout court qui s’incarne. Le virus, comme le boss de  fin des jeux vidéo, comme le dernier rempart, l’ultime menace de la fin du film, quand le héros et le méchant se retrouvent, pour l’explication finale, pour de bon : face à face. 

Parce que le virus est considéré comme le mode de transmission par excellence, le mot transmission interpelle. C’est le code du collectif qui est attaqué. Si les réseaux – pensés comme les veines du corps, les tissus, les cellules – forment la trame du monde actuel, alors le virus est ce qui attaque le collectif mondial, sa façon d’être. La transmission se pense comme la communication d’informations, mais elle peut se révéler contamination si elle se veut hostile et néfaste. 

Si un virus est capable de nous atteindre autant, c’est peut-être qu’il révèle la vulnérabilité du collectif que nous formons : collection d’individus en contact, et non pas groupe capable de répon-dre par des entités définies. Alors, si l’on aime les réseaux et ce qu’ils apportent de dynamisme, on tient là peut-être un avertissement : les vrais collectifs existent, ils échangent, ils traitent. En sortant de la peur, ne faut-il pas retrouver à notre tour, simplement, notre capacité de traitement ? 

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