C’est une histoire typiquement américaine. Une infirmière de MSF rentre de Sierra Leone. Elle est immédiatement mise en quarantaine, dans des conditions qu’elle qualifiera d’« in-humaines », suite à une décision prise par les gouverneurs de New York et du New Jersey. Le premier, Andrew -Cuomo, est démocrate, le second, Chris Christie, républicain : la décision est donc très consensuelle, qui vise à isoler de la communauté, avant même de savoir de quoi il retourne, quiconque pose le pied sur le territoire américain venant de l’un des pays à l’épicentre de la diffusion du virus Ebola. 

La polémique démarre : cette mesure, explique la Maison Blanche, porte atteinte à la stratégie mise en place d’envoi de centaines, voire de milliers de personnels sanitaires américains vers le foyer de l’infection. Car c’est là qu’il faut agir, et vite. Qui voudra s’engager s’il est ainsi traité à son retour ? Ces personnels sont des volontaires, ils doivent être perçus comme des « héros conquérants », explique l’ambassadrice américaine à l’ONU, Samantha Power. Les deux gouverneurs assurent qu’ils ne visent qu’à protéger le bien public. D’aucuns susurrent qu’ils auraient aussi pour but d’assurer leur propre avenir. Tous deux sont de possibles futurs candidats à la Maison Blanche. Et s’ils se comportent ainsi, c’est que surfer sur les peurs est généralement plus payant politiquement que de chercher à les juguler par la raison. 

Les États-Unis, m’avait expliqué après le 11 septembre 2001 le grand -essayiste David Halberstam (décédé en 2007), sont « une puissance infinie qui a toujours vécu dans la peur ». Ce pays vaste comme un continent, riche des matières premières les plus formidables, est « comme une île », disait-il : protégé de chaque côté par deux immenses océans et sécurisé, au nord, par un espace gigantesque, le Canada, qui est comme une prolongation de lui-même, et au sud par l’Amérique latine, territoire « réservé » à sa domi-nation. Parallèlement, ses peurs et la violence qu’elles engendrent – des sorcières de Salem à la phobie des Noirs, en passant par la terreur des colons face aux Indiens véhiculée par les meilleurs westerns –, ont toujours habité ses conquérants.

Aujourd’hui, sa puissance, face à Ebola, s’exprime d’abord en chiffres, sur les plans financiers et humains : désormais, 24 laboratoires consacrent leurs efforts à la recherche sur le virus. Et 20 hôpitaux, dotés des moyens idoines, ont immédiatement été désignés pour accueillir les possibles malades. Mais, comparativement à l’Europe, par exemple, l’attention portée au virus aux États-Unis, surtout par les politiques – qui se préoccupent d’abord des sondages d’opinion –, apparaît démesurée. Quasiment pas un jour ne passe sans que la Maison Blanche s’y réfère. Et la peur de la contamination suinte par tous les pores de la société : les scientifiques les plus alarmistes occupent le devant de la scène, et certains médias rivalisent de sensationnalisme. Comme si les États-Unis étaient les premiers concernés.

Il ne s’agit pas ici de minorer les risques. Au 27 octobre, plus de 13 698 personnes infectées avaient été recensées en Afrique de l’Ouest, et près de la moitié (4 921 exactement) sont décédées. Aux États-Unis, 9 cas d’infection ont été décelés depuis le 2 août, 6 personnes ont été guéries, 2 sont toujours en traitement, une seule est morte. La peur d’Ebola, c’est d’abord l’affaire des Africains. 

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