La crise d’Ebola suscite de nombreuses peurs dans les pays déjà touchés par l’épidémie et dans tous les autres pays qui, dans un monde globalisé, ont des risques de l’importer. La réponse immédiate a été de mettre en quarantaine les populations vivant dans les régions infectées afin de contenir la maladie, parfois très brutalement, comme on a pu le voir en Sierra Leone ou au Liberia, où l’armée a été déployée pour encercler les quartiers et villages touchés.

La migration des individus propage les maladies infectieuses et cela a de tout temps justifié les mises en quarantaine imposées aux individus suspects de porter la maladie. À la fin du xixe siècle, les immigrés arrivant aux États-Unis étaient ainsi systématiquement examinés sur l’île d’Ellis Island pour permettre le dépistage des maladies contagieuses et la mise en quarantaine, le cas échéant, des malades jusqu’à ce qu’ils soient considérés comme non contagieux pour le reste de la population. Plus récemment, lors de la crise du SRAS, les autorités chinoises ont réagi en créant de véritables barrages autour de l’épicentre du virus, empêchant les citadins de quitter leurs quartiers pour aller vivre chez des proches dans les régions rurales plus éloignées.

Ces mesures répondent certes à la peur générée par les maladies infectieuses, mais sont-elles efficaces ? Face à cette question, deux faits importants méritent d’être soulignés : les malades potentiels connaissent mieux leur risque d’infection que les autorités et ils peuvent modifier leur comportement en fonction de la politique suivie.

On peut dès lors s’interroger sur les effets indésirables de mesures de quarantaine coercitives qui peuvent susciter la panique et pousser les individus concernés à s’extirper des foyers contaminés. Cela est arrivé plusieurs fois dans l’histoire. Très récemment dans plusieurs pays, on a vu des individus tenter de fuir les quartiers encerclés ou les centres de soin dans lesquels ils sont confinés.

On sait qu’en Afrique les frontières sont poreuses et qu’il est très difficile d’empêcher des individus désespérés de quitter leur région de résidence. Ceci est d’autant plus problématique que les régions touchées par l’épidémie s’étendent géographiquement, rendant plus difficile le contrôle de leurs frontières. De plus, le dépistage d’une infection ne se fait pas immédiatement et, dans le cas d’Ebola, la période pendant laquelle le virus est asymptomatique peut aller jusqu’à vingt et un jours. Il est donc rationnel pour des individus susceptibles d’avoir été en contact avec des malades de vouloir quitter les lieux avant même que leur état ne soit visible. Ceci est d’autant plus vraisemblable que les mesures prises à l’encontre des malades les condamnent à l’isolement, à la stigmatisation, voire à l’abandon à l’intérieur même de leurs communautés, sans leur donner aucun espoir de rémission.

Un deuxième type d’effets pervers se produit quand des mesures de quarantaine trop strictes empêchent des individus sains de quitter l’épicentre de l’épidémie, les condamnant à mourir infectés par leurs voisins. Sans ces mesures, ils seraient les premiers à migrer, même si les coûts peuvent être très élevés pour des individus pauvres. Or ces individus sains ne sont pas susceptibles de contaminer les autres dans les régions de destination et il est donc souhaitable d’un point de vue de santé publique de les laisser migrer afin de diminuer le taux de prévalence globale de l’épidémie.

N’y a-t-il donc aucune politique efficace à mettre en œuvre ? La solution ne peut venir que du déploiement de moyens plus importants pour lutter contre les maladies infectieuses, c’est-à-dire en améliorant les traitements préventifs et curatifs dans les pays touchés et non pas en se barricadant. Le seul moyen d’encourager les gens à risque de se déclarer aux autorités de santé plutôt que de fuir les lieux, c’est de leur donner une chance de survivre s’ils sont vraiment malades. Bien sûr, des mesures de quarantaine temporaires, acceptables et bien comprises par les populations touchées, doivent aussi être ajustées à la situation. Mais elles doivent être accompagnées de moyens considérables pour soigner les populations, les informer et susciter la coopération nécessaire à la mise en place d’un système de surveillance de la propagation de l’épidémie. Certaines leçons peuvent déjà être tirées : le Nigeria ou le Sénégal ont réussi jusqu’ici à contrôler l’épidémie grâce à une coordination importante entre autorités nationales et locales et des campagnes d’information impliquant les populations concernées dans la lutte contre Ebola. 

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