Jardiniers, scouts ou scientifiques : mobilisation générale pour limiter les risques allergiques
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Chaque matin depuis 2011, dans une vingtaine de villes de France, des jardiniers municipaux font un pas de côté pour s’occuper d’espaces verts pas comme les autres : des pollinariums, observatoires qui regroupent en un jardin les « vingt essences de graminées, herbacées, arbres et arbustes les plus allergisantes dans un rayon de quarante kilomètres », détaille Luc Lavrilleux, président de l’Association des Pollinariums sentinelles de France (APSF).
Formés à l’exercice, les jardiniers guettent les évolutions de ces vergers à pollens avant même que ne s’ouvre le bal des éternuements. Le noisetier ou l’olivier ont-ils déjà fleuri ? Et la houlque, cette graminée allergisante ? Après avoir tapoté les fleurs sur une plaque en verre sombre ou sur l’écran noir de leur téléphone, ils reportent leurs observations sur un logiciel partagé. Des botanistes vérifient l’information, des médecins allergologues les confrontent à leurs observations médicales. Et, une fois validés, ces signaux de début et de fin des émissions de pollen rejoignent la carte interactive et la newsletter de l’APSF. Les personnes allergiques peuvent alors éviter de s’exposer et adapter leur traitement préventif.
Ces jardiniers lanceurs d’alerte font partie de la grande tribu des Français et Françaises mobilisés pour prévenir les allergies et faciliter la vie des personnes qui en souffrent. Scientifiques, enseignantes ou militants associatifs, ils et elles agissent pour limiter les réactions aux aliments, aux cosmétiques ou aux pollens. La métropole de Lyon a par exemple modifié sa « Charte de l’arbre », qui préside à la végétalisation de la collectivité, pour éviter de reproduire la même bourde que dans les années 2010, quand elle avait fait planter près de mille bouleaux dans un seul quartier, déclenchant des ribambelles de rhinites et de larmoiements.
Dans les champs et les friches, la croisade vise une autre envahisseuse : l’ambroisie, une plante débarquée des États-Unis au xixe siècle. Ses pollens, extrêmement allergisants, agressent entre 1 et 3,5 millions de personnes en France chaque fin d’été. La Fredon, une fédération d’organismes à vocation sanitaire, a été missionnée par le ministère de la Santé pour sonner la mobilisation générale. Elle informe et outille agriculteurs, acteurs du BTP, gestionnaires d’autoroutes et même brigades de scouts pour qu’ils signalent et arrachent la plante dès qu’ils l’aperçoivent. « Une fois le signalement fait, il faut arracher la plante et la laisser racines vers le haut, pour qu’elle sèche », précise Alice Samama, de la Fredon France. De la région Auvergne-Rhône-Alpes aux Yvelines, la plateforme « Signalement ambroisie » a enregistré 8 300 alertes en 2024.
Un coup dur dans la traque aux pollens allergisants
La traque aux pollens allergisants a néanmoins encaissé un coup dur début 2025 : l’association RNSA (Réseau national de surveillance aérobiologique) a été placée en liquidation judiciaire. Or ses bénévoles géraient 80 capteurs de pollens, ce qui permettait d’élaborer une « carte de vigilance des pollens » par département. « On consultait le RNSA pour anticiper, maintenant on est perdus », témoigne Pascale Couratier, directrice générale de l’Association française pour la prévention des allergies (Afpral). Certes, la fédération Atmo a pris en partie le relais avec son Indice pollens, « mais il ne prend pas encore en compte toutes les essences, comme le cyprès ou le noisetier alors qu’ils sont très présents », poursuit la porte-parole. Elle-même souffre d’une allergie au cyprès et d’un asthme « épuisants ». « On entend souvent “ je suis allergique aux imbéciles ”, ou “ au travail ”. On galvaude ce terme alors que l’allergie alimentaire peut être fatale et l’allergie respiratoire très invalidante, souligne-t-elle. On ne dort pas, on a des maux de tête ou des rhinites permanentes… »
Bien sûr, les personnes les plus allergiques aux pollens peuvent adopter des réflexes : se brosser les cheveux chaque soir, porter un masque chirurgical voire des lunettes, ou encore aérer aux heures les moins chaudes, quand les plantes relâchent moins de particules. Des commerçants se placent aussi sur le créneau, en proposant des filtres pour habitacles de voiture, des biscuits ne contenant aucun des 14 allergènes alimentaires listés par la Commission européenne et même… des chats « hypoallergéniques ». « Il faut rester prudent, de nombreux produits sont vendus comme étant hypoallergéniques, prévient la directrice de l’Afpral. Parmi les housses de matelas anti-acariens, par exemple, nous recommandons celles tissées tellement serré qu’elles agissent comme une barrière infranchissable. Celles qui sont imbibées d’acaricide, en revanche, nous exposent à des produits irritants pour les voies respiratoires. »
« L’alimentation très riche en sucre et en gras favorise une réaction inflammatoire à bas bruit »
Des combats environnementaux de longue haleine
Mais au-delà des gestes individuels, améliorer la vie des personnes allergiques nécessite des politiques publiques. « L’interdiction de fumer dans les lieux publics a été très bénéfique pour les personnes asthmatiques, tout comme l’amélioration de l’étiquetage des ingrédients pour les personnes ayant une allergie alimentaire », apprécie Pascale Couratier. Depuis 2021, les écoliers allergiques bénéficient aussi d’un projet d’accueil individualisé (PAI) plus efficace.
Mais il reste du pain sur la planche. Non seulement parce que des allergènes alimentaires « émergents » font leur apparition, comme le lait de chèvre, le sarrasin ou le kiwi, mais aussi parce que certains combats contre les allergies rejoignent des luttes environnementales de longue haleine : contre le changement climatique – responsable de l’allongement de la saison des pollens – ou encore pour l’amélioration de la qualité de l’air. « Les polluants aériens ne sont pas des allergènes en soi. Cependant, ils affectent les voies respiratoires des personnes. En outre, les particules fines peuvent briser le grain de pollen, ce qui libère encore plus de molécules allergisantes », expose Charlotte Lepitre, responsable plaidoyer chez Atmo France. Bonne nouvelle : officiellement, la qualité de l’air s’améliore dans le pays, avec une baisse des concentrations moyennes des principaux polluants. « Mais il faut rester vigilant, poursuit Charlotte Lepitre. Par exemple, les particules ultrafines, de moins de 0,1 micron, ne sont pas comptabilisées, de même que certains polluants agricoles, comme l’ammoniac ou l’ozone. »
Des liens entre pesticides et asthme ou allergie au gluten
Dans ses rêves d’une France plus adaptée aux allergiques, Pascale Couratier imagine une démultiplication des allergologues dans tout le pays pour accélérer les diagnostics – « car l’errance médicale actuelle dure sept ans en moyenne ». Elle formerait également les professionnels des métiers de bouche, pour qu’ils comprennent l’importance de signaler clairement les allergènes alimentaires. « Il faudrait aussi préparer les encadrants scolaires à l’utilisation du stylo d’adrénaline, tout comme on apprend à faire un massage cardiaque, poursuit-elle. C’est simple et sans danger, et, en cas de réaction anaphylactique, ça peut sauver une vie. »
Que faire, à l’autre bout du spectre, pour éviter qu’une personne ne devienne allergique ? Des scientifiques travaillent à identifier certains facteurs de risque, notamment dans nos assiettes. Grégory Bouchaud par exemple. Directeur de recherche à l’Inrae de Nantes, il a exposé des souris à un cocktail de pesticides, notamment pendant leur gestation et l’allaitement de leurs petits. « Nous avons ajouté dans leurs croquettes un mélange de pesticides dans des proportions similaires à ce que consommerait un couple humain qui achète ses fruits et légumes au marché ou en supermarché, décrit-il. Nous avons observé, chez leurs petits, une aggravation des symptômes d’asthme allergique aux acariens et d’allergie alimentaire au gluten de blé. » D’autres études révèlent des allergies au lait plus sévères et plus persistantes en cas d’exposition des mères aux pesticides. Bien que les résultats de ces expériences soient plus mitigés chez les humains que chez les souris, le chercheur prône une mesure simple : abaisser le seuil de résidus de pesticides autorisés dans les fruits et légumes, afin de tenir compte de ce risque allergique.
Du côté de l’Essonne, toujours à l’Inrae, Karine Adel-Patient et son équipe décryptent les effets de la nutrition sur les allergies. « L’alimentation typique des États-Unis, très riche en sucre et en gras, favorise une réaction inflammatoire à bas bruit, comme si les tissus réagissaient à une agression permanente, indique-t-elle. Cela crée un terrain favorable à des réponses immunitaires inappropriées, telles que les maladies allergiques. »
Prendre soin du microbiote des femmes enceintes
Quant à la nourriture ultratransformée, elle contient nombre d’additifs aux effets parfois délétères. Comme le E171, ce colorant blanc utilisé dans les pâtisseries ou les chewing-gums. « Chez les souriceaux dont les mères ont été exposées, cet additif perturbe la mise en place du microbiote, de la barrière intestinale et du système immunitaire, ce qui favorisait les allergies alimentaires », poursuit Karine Adel-Patient. L’E171 a été interdit dans l’alimentation en 2022.
Recommandation des scientifiques, donc, mais aussi du Programme national nutrition santé : privilégier des aliments diversifiés et peu transformés, particulièrement pour les femmes enceintes et les nourrissons. « La mère transmet son microbiote à son enfant. Il est donc bénéfique d’en prendre soin, par exemple en privilégiant les fibres, poursuit la scientifique. L’OMS recommande également, si la mère le peut et le veut, un allaitement exclusif jusqu’à 6 mois au moins, afin de renforcer le système immunitaire du nouveau-né tout en lui apportant tous les nutriments nécessaires à sa croissance. »
Le suivi de la cohorte Pasture – 1 000 enfants de régions rurales d’Allemagne, d’Autriche, de Suisse, de Finlande et de France – a même montré que naître et grandir dans une ferme, notamment d’élevage, s’avère bénéfique contre le développement de l’asthme et de l’allergie. « S’exposer à des bactéries, être en contact avec les animaux, consommer du lait cru, tout ça est protecteur », complète Karine Adel-Patient.
La transparence pour décider en toute sécurité
En définitive, la lutte contre les allergies s’immisce dans nombre de politiques publiques et de comportements individuels. Pascale Couratier, de l’Afpral, a encore une doléance, en voyant émerger des pailles de cocktail à base de blé ou encore des écomatériaux en protéines de lait ou de soja, potentiellement allergènes. « On ne demande pas aux industriels de stopper leurs innovations, mais d’informer les consommateurs en toute transparence, pour qu’on puisse faire un choix éclairé pour notre sécurité », plaide-t-elle.
Autant de démarches pour offrir aux personnes allergiques la vie la plus normale possible. Sur son site, l’association propose aux enfants concernés des aimants à coller « sur le frigo, dans la classe, chez les copains » pour sensibiliser à leur maladie. L’un d’eux clame haut et fort, autour d’un dessin de papillon rigolo : « Allergique, mais pas au bonheur. »
avec MARIE COGORDAN & EMMA FLACARD
« Le danger que représentent les allergies n’est pas suffisamment pris au sérieux »
Madeleine Epstein
L’allergologue Madeleine Epstein nous explique comment se développent les allergies et pourquoi elles sont en augmentation, ce qui devrait davantage préoccuper la société et les pouvoirs publics.
Jardiniers, scouts ou scientifiques : mobilisation générale pour limiter les risques allergiques
Hélène Seingier
Des Pollinariums sentinelles aux recherches consacrées à la prévention des allergies, en passant par les dispositifs d’accompagnement des enfants allergiques, nos journalistes brossent dans cette enquête un tableau des démarches et dispositifs mis en place pour améliorer le quotidien des personne…