C’est l’histoire d’un gigantesque scandale politico-financier. Tout commence en 2005, lorsque trois journalistes décident d’enquêter sur les dépenses des parlementaires britanniques. En vertu du Freedom of Information Act, une loi sur la liberté d’information tout juste entrée en vigueur, Ben Leapman du Sunday Telegraph, Jon Ungoed-Thomas du Sunday Times, et Heather Brooke, journaliste américaine indépendante, déposent une demande officielle pour obtenir l’accès aux notes de frais des députés. Malgré les tentatives d’obstruction de la Chambre des communes, la presse finit par obtenir gain de cause en 2009. Stupeur : les documents dévoilent un vaste réseau de corruption sous la forme d’un détournement généralisé des dépenses et allocations par des centaines de députés, tous partis confondus. De l’achat de nourriture pour chien au remboursement de loyers d’appartements dont ils étaient propriétaires, en passant par le nettoyage de douves et la construction d’un abri décoratif pour canards, les parlementaires ont dépensé un total de plus de 1 million de livres sterling, soit 1,2 million d’euros, aux frais du contribuable. 

Bien que d’autres affaires de corruption aient déjà été révélées dans le passé, celle-ci choque particulièrement l’Angleterre, encore marquée par la crise financière. « Surtout, il ne s’agissait pas d’une exception : elle concernait plus de la moitié des députés », explique Sarah Pickard, maître de conférences en civilisation britannique à l’université Paris III et coauteur de l’ouvrage collectif Éthique, politique et corruption au Royaume-Uni (Presses universitaires de Provence, 2013). 

Si une minorité d’entre eux se sont spontanément engagés à rembourser leurs dépenses et à ne pas se représenter aux élections suivantes, la plupart ont continué à clamer leur bonne foi. « Ils n’étaient pas tous profondément malhonnêtes, dit Sarah Pickard. Mais beaucoup ont profité d’un système en pensant que personne ne le découvrirait. » Les députés impliqués ont dû rembourser leurs dépenses ou démissionner. Quatre d’entre eux ont été condamnés à des peines de prison allant de 16 à 18 mois. Quelques mois seulement après les révélations, un organisme indépendant était créé au sein du Parlement pour contrôler les dépenses de ses membres, l’IPSA. 

Pour Jon Henley, journaliste en charge des affaires européennes au Guardian, l’affaire des notes de frais a permis « de bien assainir le système » et d’imposer « une réelle discipline ». « Les parlementaires se sont fait crucifier par la presse, ils font vraiment gaffe maintenant, explique-t-il. Les tabloïds peuvent être très sévères et ils savent que s’ils se font attraper sur ce genre d’abus, leur carrière est finie. » À ses yeux, un scandale d’une telle envergure ne pourrait avoir lieu aujourd’hui, de même qu’une affaire comme celle impliquant Penelope Fillon : un homme politique anglais se serait mis en retrait en attendant le verdict de la commission. « Je pense qu’au Royaume-Uni le parti prime sur l’homme, tandis qu’en France l’homme est plus important que son parti, dit-il. Ici, un candidat est viré de son parti s’il nuit à sa réputation et, surtout, à ses chances de remporter une élection. »

Malgré les efforts déployés depuis le scandale des dépenses, la confiance des citoyens britanniques envers leurs élus reste au plus bas. En juin 2009, une enquête Ipsos MORI révélait que les trois quarts des sondés accordaient peu de crédit à leurs parlementaires. En 2015, un nouveau sondage indiquait que les Britanniques plaçaient davantage leur confiance dans les banquiers, les journalistes et les agents immobiliers qu’en leurs élus.

Bien que le Royaume-Uni occupe aujourd’hui la 10e place dans le classement annuel des pays les moins corrompus de Transparency International (la France se situe en 23e position), la corruption n’a pas totalement été éradiquée de sa classe politique. En 2013, un député conservateur aurait accepté de poser des questions rédigées par de faux lobbyistes au Parlement en échange de 4 000 livres sterling, selon des journalistes de la BBC et du Daily Telegraph. Une semaine plus tard, leurs confrères du Sunday Times surprenaient à leur tour trois parlementaires, dont un lord, en train de proposer leurs services et leur influence à des lobbyistes en échange d’argent. 

Winston Churchill disait : « Pour s’améliorer, il faut changer. Donc pour être parfait, il faut changer souvent. » Les systèmes politiques européens ont encore quelques changements devant eux… 

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