« Que dit de moi le volatile ? » s’exclamait le général de Gaulle lorsqu’on lui apportait Le Canard enchaîné le mardi soir dans son bureau de l’Élysée. L’hebdomadaire satirique n’épargna guère le fondateur de la Ve République. Jamais il ne parvint cependant à l’abattre et à épingler sa probité, il est vrai au-dessus de tout soupçon. Les caquetages du palmipède ont, en revanche, fait trébucher bien des héritiers du gaullisme. Certains ne s’en sont même jamais relevés. 

Premier sur la liste des victimes du journal palmé, Jacques Chaban-Delmas. Le 19 janvier 1971, Chaban, alors Premier ministre, porté par une popularité record qui en agace plus d’un au sommet de l’État, est cloué au pilori : le Canard l’accuse de ne pas avoir payé d’impôts sur le revenu de 1967 à 1970. En vérité, il n’a fait que profiter de l’instauration en 1965 d’un nouveau dispositif : l’avoir fiscal. Dans les faits, il n’a rien commis d’illégal. Il réagit d’ailleurs aussitôt mais le coup est mortel. La popularité du Premier ministre part en vrille. Il se défend bec et ongles avec les mêmes mots que François Fillon aujourd’hui : « C’est la première fois qu’un homme subit cette épreuve pénible. » Rien n’y fait. Tous ceux qui le combattent, y compris dans l’entourage du président Pompidou, en rajoutent pour le pousser vers la sortie. Six mois plus tard, il quitte Matignon avec ce boulet au pied, qui le fera définitivement trébucher trois ans plus tard lors de la présidentielle de 1974. Il sera éliminé dès le premier tour par Valéry Giscard d’Estaing, futur vainqueur du second tour. Complot venu de son camp, pensera toujours Chaban, songeant à Chirac qui fut son secrétaire d’État à l’Économie et aux Finances jusqu’au 7 janvier 1971 ! 

Peccadilles, se dit VGE, lorsque l’affaire des diamants de Bokassa éclate. Le 10 octobre 1979, le volatile canarde Giscard en révélant qu’en 1973 il a reçu une plaquette de diamants de trente carats de Jean-Bedel Bokassa, l’ancien empereur-dictateur centrafricain chassé du pouvoir trois semaines plus tôt. Giscard traite l’affaire par le mépris. Erreur politique. Un feuilleton démarre, qui ne trouve son épilogue qu’en 1981. Ces diamants collent à Giscard comme le sparadrap au capitaine Haddock. Le Canard, dont l’avocat est Roland Dumas, un proche de François Mitterrand, ne le lâche plus. La gauche exploite à fond le scandale. Jusqu’à la défaite de VGE en 1981. Depuis, que de débats sur la vérité dans cette ténébreuse affaire surexploitée pour en finir avec le giscardisme ! 

Avec le « Penelopegate », Le Canard enchaîné va-t-il envoyer à son tour François Fillon au cimetière des éléphants de la politique ? Le candidat des Républicains dénonce un assaut sans précédent, « un assassinat politique ». Au vrai, le Canard lui fait subir le même sort qu’à Chaban ou à Giscard. Le journal, il faut le souligner, a une prédilection pour les petits et grands travers des hommes de droite. Certes, il n’a pas épargné la gauche. Reste qu’il est alors plus suiveur que précurseur, moins procureur. Il n’a pas ignoré les affaires Urba-Gracco, Elf, Pechiney, Société générale, DSK, mais sans vraiment remuer à plaisir le couteau dans la plaie. Il a toujours plus ou moins épargné François Mitterrand. Pas de scoop, par exemple, dans l’affaire Mazarine. Comme l’affaire Penelope Fillon, elle concernait pourtant les deniers publics. Rien non plus de décisif dans le scandale Cahuzac révélé par le site Mediapart, journal qui, en dépit d’une sensibilité politique de gauche assumée, se montre impartial dans son travail d’investigation. Ce n’est pas, néanmoins, au trébuchet de la sensibilité politique que l’on juge de la qualité d’un journal. C’est sur son travail d’information et le Canard, en ce domaine, est un sacré volatile. 

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