Face à la politique, Sartre a longtemps pratiqué l’art de l’esquive. Son projet au sortir de l’École normale : « D’abord écrire, et, à côté de ça, vivre agréablement*. » Agrégé de philosophie, il séjourne un an en Allemagne au moment où Hitler installe son pouvoir, sans s’y intéresser. Il sympathise en 1936 avec le Front populaire, mais il ne vote pas ; il assiste à ses manifestations « debout sur le trottoir ». Pendant l’Occupation allemande, ses exploits de résistant sont modestes : « Dieu sait pourtant la résistance que j’ai faite […], mais elle ne m’a pas coûté grande chose. » C’est au sortir de la guerre que Sartre devient alors et définitivement un écrivain engagé.

Un mot s’impose dans sa profession de foi politique : la radicalité. « Pour moi, dit-il dans sa dernière interview en 1980, la radicalité m’a toujours paru un élément essentiel de l’attitude de gauche. Si nous repoussons la radicalité, selon moi nous contribuons, et pas peu, à faire mourir la gauche. »

Cette radicalité a pris plusieurs formes. Celle, notamment, d’un manifeste littéraire implacable avec le lancement des Temps modernes en décembre 1945 : « L’écrivain est en situation dans son époque : chaque parole a des retentissements. Chaque silence aussi. » C’est également l’adhésion à l’espérance révolutionnaire. Après un certain nombre de tâtonnements, il juge au début des années 1950 que seul le Parti communiste incarne cette espérance. Quand il devient nettement un compagnon de route du PCF, en 1952, il établit une double équation. La première pose que l’URSS est la « chance historique de la révolution ». La seconde est l’assimilation du Parti communiste à la classe ouvrière : sans le premier, la seconde n’existe pas. « Comment pouvez-vous croire à la fois à la mission historique du Prolétariat et à la trahison du Parti communiste, si vous constatez que l’un vote pour l’autre ? »

C’est en des termes quasi léninistes que Sartre assigne au Parti la direction du mouvement ouvrier et révolutionnaire. Dans Que faire ? (1902), Lénine confiait aux intellectuels, issus de la bourgeoisie, la direction du Parti, car les masses livrées à elles-mêmes tendaient spontanément au « trade-unionisme », c’est-à-dire aux revendications concrètes, partielles, sans perspective révolutionnaire. Que dit Sartre ? « En un mot, l’essence même des masses leur interdit de penser et d’agir politiquement. » Le prolétariat n’existe que par le Parti. Il est l’instrument du Parti qui, seul, détient la conscience politique.

Le philo-communisme du Sartre d’alors cadre mal avec sa prétention à être toujours « resté anarchiste ». Cependant, la double équation qu’il a posée est brutalement remise en question par la révolte des Hongrois en 1956. Les ins

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