Révolutionnaire pratiquant, Guy Debord a consacré nombre de pages au récit de sa vie héroïque. Rester maître de son image, n’est-ce pas l’objectif premier de tout autoportrait ? De sa biographie, il a fait une arme contre le règne de la marchandise et la société du spectacle. Le gros volume de ses œuvres paru en « Quarto » ressemble autant à un pavé qu’à un bloc de savon. Car les concepts qu’il énonce s’avèrent fuyants, comme si c’était la condition de leur survie : pas de théorie sinon d’utile à la révolution ! Aussi, les événements de son existence ressemblent parfois aux vies des saints d’autrefois servant à l’instruction populaire : une légende dorée mais à l’envers, celle d’un exemplaire insoumis.

Ce fut, paraît-il, un remarquable joueur de poker. Un jeu où, expliquait-il, il faut moins réfléchir aux éventuels bluffs de l’adversaire que connaître l’état réel de ses propres forces. Guy Debord est un stratège du langage qui connaît le pouvoir de la parole dite en son temps – les détournements, l’ironie, le ton péremptoire et les non-dits : tout lui est outil de lutte. Impossible alors de feuilleter son parcours comme un objet neutre. C’est un bloc de savon vraiment, selon la description qu’en donne Francis Ponge : « point de pierre aussi glissante, et dont la réaction entre vos doigts soit une bave aussi volumineuse et nacrée ».

« Je suis né virtuellement ruiné », écrira Guy Debord dans Panégyrique I en 1989. Mais les déboires financiers sont étrangers à son enfance. Quand il vient au monde le 28 décembre 1931, sa famille possède une usine de chaussures et une pharmacie dans le 20e arrondissement parisien. Il faudra du temps avant que ne s’épuise le produit de leur vente. Son père meurt alors qu’il a 4 ans ; sa mère a deux autres enfants d’une longue liaison avec un moniteur d’auto-école, avant d’épouser un riche notaire. Guy Debord grandit à Nice, Pau et Cannes, il est le favori de sa grand-mère, qui fait office de cheftaine. Dans Vie et mort de Guy Debord, le biographe Christophe Bourseiller signale que l’enfant s’adonne à une passion obsessionnelle : le découpage, dont il fera plus tard un médium de prédilection. On peut aussi voir dans son entourage oisif la source de son futur dégoût du travail. « Ne travaillez jamais » est l’une de ses premières œuvres : un graffiti rue de Seine, à Paris, en 1953. « Vivre sans temps mort, jouir sans entraves », diront les murs en mai 1968.

De son adolescence, il écrit : « Les gens que j’estimais plus que personne au monde étaient Arthur Cravan et Lautréamont. » D’un côté, le poète-boxeur, neveu d’Oscar Wilde, spécialiste de l’insulte publique. De l’autre, l’auteur des Chants de Maldoror, expert en découpages et collages. Deux révoltés contre l’art et l’ordre établis : Guy Debord parfait son goût du scandale. C’est un élève brillant mais dissolu, adepte des canulars. Les anciennes promesses du Premier manifeste du surréalisme flottent encore dans l’air : l’histoire d’une révolution de l’art indissociable de celle de

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