En 1970, le philosophe Michel Foucault n’a pas encore atteint la cinquantaine. Il a déjà publié quelques maîtres livres dont Les Mots et les Choses et Archéologie du savoir. Des pages d’une écriture vibrante, d’une érudition rare et d’une violence contenue. De quoi s’agit-il ? De déboulonner la statue du sujet dans la philosophie occidentale. La mort de l’homme, rien de moins. Et le voilà déjà professeur au Collège de France. Sa leçon inaugurale marque toute une génération de professeurs et d’étudiants. Qui peut imaginer, à cet instant, que ce prodige n’a plus qu’une petite quinzaine d’années à vivre ?

À sa manière, Foucault aura eu une trajectoire de météore au cours de laquelle il repense pour les déconstruire non seulement la figure du sujet rationnel, mais aussi l’idée de la représentation classique et celle du pouvoir. Familier de la recherche dans les archives, il brasse l’histoire des systèmes de pensée de l’Antiquité à nos jours et propose une nouvelle vision de l’emprise des États sur les corps et les populations. Dans le même souffle, il conteste la philosophie de l’histoire de Hegel et de Marx dans une description magistrale des sociétés de discipline, des sociétés de l’enfermement (prisons, asiles, casernes) et des sociétés de la surveillance et du contrôle. Nous y sommes !

Il rêvait d’assister à l’abolition de tous les lieux d’enfermement, à commencer par les prisons

Ses analyses et ses prémonitions ont eu un impact puissant. Au fil des années, cet héritier de Nietzsche qui rêvait d’assister à l’abolition de tous les lieux d’enfermement, à commencer par les prisons, s’engage politiquement. Il crée avec des amis le Groupe d’information sur les prisons (GIP) et soutient activement la lutte des homosexuels pour la reconnaissance de leurs droits sans jamais se revendiquer publiquement comme tel. Parallèlement, il propose une nouvelle lecture de ce que représentent la sexualité et les genres. Une recherche radicale qui lui permet d’enclencher une réflexion sur « l’invention de soi ».

Un rire sardonique, un rien infernal, le secouait lors des discussions en tout temps et tous lieux

Lui-même avait su s’inventer en surmontant mille tourments. Son crâne rasé, coiffure rare et connotée d’extrême droite à l’époque, intriguait. « Il avait une tête de rocher, comme une pierre lavée par les océans », confiait Gérard Fromanger (1939-2021), l’un de ses amis peintres. Surtout, un rire sardonique, un rien infernal, le secouait lors des discussions en tout temps et tous lieux. Comme s’il était insubmersible, invulnérable, éternel porteur de la torche du savoir, alors qu’il était déjà miné par le virus du sida. Sa mort créa un choc d’autant plus vif qu’il était inclassable. Et impossible à remplacer. 

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