Le Brexit aura-t-il lieu ? Et, si oui, sous quelles conditions ? Près de trois ans après le référendum, qui a vu le camp du Leave l’emporter d’une courte tête, et moins d’un mois avant la date de rupture prévue avec l’Union européenne, le Royaume-Uni se trouve aujourd’hui dans une situation plus confuse que jamais. Incapables de s’accorder sur la moins mauvaise des solutions, les députés britanniques ont pour l’heure choisi la pire en privant Theresa May d’un mandat et d’une vision claire. Et alors que le divorce se rapproche jour après jour, nul n’imagine plus désormais la Couronne filer à l’anglaise, sans perte ni fracas. Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment la fière Albion, qui dictait il y a peu encore ses règles à l’Europe, est-elle devenue si fragile, au point de ressembler désormais à un royaume désuni ?

Ce numéro du 1 tente de mettre en lumière quelques-unes des fractures profondes qui traversent aujourd’hui le pays. La première, la plus évidente, est géographique. Au désir de repli anglais et – dans une moindre mesure – gallois, s’oppose l’attachement européen des Écossais et des Irlandais. Flagrant dans les urnes, ce dernier pourrait relancer les velléités d’indépendance des premiers, ou encourager le rapprochement des deux Irlande, horrifiées à l’idée de voir se rouvrir une cicatrice au milieu de l’île. La seconde fracture, elle, est sociale, comme l’explique bien l’écrivain David Lodge dans nos pages. Le vote sur le Brexit a révélé le fossé qui se creuse entre deux franges de la population britannique. La première est plutôt jeune, libérale, cosmopolite et urbaine ; la seconde plus âgée, blessée par la fermeture des anciens bastions industriels et l’effondrement du système hospitalier, et peu à peu gagnée par la nostalgie et la xénophobie. Incapables de s’écouter ou de se comprendre, ces deux peuples sont piégés dans un face-à-face mortifère et désespérant.

Enfin, au moment même où il aurait besoin d’un leadership fort pour le guider, le pays connaît aujourd’hui un paysage politique en morceaux, où chacun des deux grands partis, conservateur et travailliste, est déchiré en son sein par des dérives populistes. Dérives que ni Theresa May ni Jeremy Corbyn ne semblent désormais à même d’endiguer, à force de poker menteur et d’humiliations répétées.

C’est donc un royaume profondément divisé qui s’apprête à faire le grand saut dans l’inconnu. Un royaume où le common sense a laissé la place au nonsense, aux arguties et à la confusion érigée comme règle. Il ne s’agit pas pour autant de faire preuve de catastrophisme : s’il a su résister aux offensives de la Luftwaffe, le peuple britannique saura survivre au Brexit. Mais peut-être pas à sa désunion. 

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