« Pourquoi une gare parisienne porte le nom de Rosa Parks, et non celui d’une personne issue des colonies ? » Cette question, lancée comme un pavé par la militante antiraciste Rokhaya Diallo sur un plateau télévisé, mérite qu’on s’y arrête. Pourquoi Rosa Parks ou Martin Luther King, en effet, et non Solitude, abolitionniste guadeloupéenne condamnée à mort par les troupes de Napoléon ? Ou Toumi Djaïdja, initiateur de la Marche des beurs de 1983 ? Pourquoi ces figures de résistance à la ségrégation sont-elles absentes de notre imaginaire, remplacées par des icônes américaines ?

Le débat pourrait être anecdotique s’il n’était révélateur de la relation contrariée de la France à son histoire coloniale, ce « passé qui ne passe pas » selon la formule consacrée. Soixante ans après les accords d’Évian, qui marquèrent la fin de la guerre d’Algérie et, de façon symbolique, celle de son empire colonial, le pays reste en effet hanté par des fantômes aux lourdes chaînes. Et ce ne sont pas les propos d’Éric Zemmour sur la « colonisation » de certains quartiers ou les violents débats intellectuels autour de la « pensée décoloniale » qui vont apaiser les esprits. Alors pourquoi cette histoire reste-t-elle si conflictuelle aujourd’hui, si chargée de colère et de ressentiment ? Comment réussir à vivre avec cet héritage ? Ce sont les questions que pose ce numéro du 1, réalisé en partenariat avec Arte, à l’occasion de la diffusion le 1er février des quatre épisodes de la série Exterminez toutes ces brutes. Soit une fresque monumentale, signée Raoul Peck, autour du suprémacisme blanc et de ses avatars à travers les siècles – impérialisme, colonialisme, esclavagisme… –, sept cents ans d’une histoire totale, où l’intérêt économique et la domination politique ont marché main dans la main, et dont les stigmates continuent de brûler chaque pan de notre espace commun. « Vous ne pouvez pas prétendre ne pas être concernés, puisque vous vivez dans cette société, qui est le produit de cette histoire, rappelle le cinéaste haïtien dans le long entretien qu’il nous a accordé. Il n’y a que ceux qui sont du côté gagnant qui peuvent chercher à l’oublier. Ceux qui la subissent n’ont pas un tel luxe. »

À ses côtés, les historiens Patrick Weil et Laurence De Cock, ou encore l’écrivain Mohamed Mbougar Sarr, récent Prix Goncourt, plaident pour un nécessaire travail historique autour du fait colonial, préalable indispensable à la reconnaissance des mémoires. Un travail à mener à l’école, bien sûr, mais également hors de ses murs, à travers les images et les livres, comme ceux que proposent cet hiver Éric Vuillard ou Pierre Lemaitre sur le crépuscule de l’Indochine française. « Ce n’est pas le savoir qui nous manque », rappelle à cet égard Raoul Peck. Simplement le courage de regarder notre histoire en face. Et d’en tirer les conséquences.