Le 4 juillet 2017, lors de son discours de politique générale, Édouard Philippe, fraîchement nommé Premier ministre, annonce que le gouvernement s’engage à respecter l’une des nombreuses promesses de campagne d’Emmanuel Macron : « Nous [...] recyclerons 100 % des plastiques sur tout le territoire d’ici 2025. » Il « nous » reste à présent moins de six ans pour réaliser cet objectif qui s’inscrit dans la vaste « feuille de route pour une économie 100 % circulaire ». Six ans pour passer de 22,2 % à 100 % de plastiques recyclés. Six ans pour que « nous » passions (loin) devant les premiers de la classe européenne que sont, selon les chiffres du lobby PlasticsEurope, la Norvège (43,4 %), la Suède (40,6 %) et l’Allemagne (37,7 %). 

Nouvel avatar de la notion peu à peu délaissée de développement durable, l’expression économie circulaire désigne aujourd’hui un horizon consensuel, vers lequel toutes les sociétés contemporaines gagneraient à courir : un monde idéal dans lequel tout ce qui serait produit et mis au rebut pourrait être in fine recyclé, et ce sans pertes, sans pollution. L’idéal d’un cercle parfait, d’un monde sans restes, sans déchets. Objectif ambitieux et fédérateur certes, mais cette promesse pourrait n’être que le rêve éveillé d’un capitalisme industriel repeint en vert.

Si pour certains le recyclage se présente aujourd’hui comme la solution miracle pour régler le problème de la prolifération des déchets, force est de constater que l’idée n’est pas nouvelle. Au temps où les plastiques n’existaient pas encore, au début du XIXe siècle déjà, alors même que de nombreux riverains déposaient des plaintes contre les nuisances liées au développement industriel, le recyclage était présenté comme la réponse « naturelle » de l’industrie pour limiter ces pollutions. Du point de vue des responsables d’usines, les pollutions étaient perçues comme des pertes, évitables, de matière première : quoi de plus naturel que d’essayer de tirer profit de ce qui est jusque-là perdu ? Dans sa chronique du Monde Éco & Entreprise du 23 mai dernier, l’historien Jean-Baptiste Fressoz souligne ainsi que « dès le XIXe siècle, le discours du recyclage était une forme de greenwashing avant la lettre, permettant de calmer les voisins qui se plaignaient des pollutions et de fonder en raison le laisser-faire ». 

Hier comme aujourd’hui, tout le monde aurait donc intérêt à participer à ce grand recyclage, car il permettrait de faire converger enjeux écologiques et impératifs économiques.

Dans les années 1980, l’objectif de voir émerger une « société du recyclage » avait là aussi soulevé un consensus large : on a notamment – à commencer par l’Europe – encouragé le développement du tri sélectif. En triant nos déchets « à la source », il est devenu possible de croire que « nous », citoyens, consommateurs, industriels et États, allions parvenir collectivement à recycler tout ce qui était produit. Plus de trente ans après, l’objectif est donc de réussir à faire en six ans ce que plusieurs décennies de cette écologie des petits gestes n’ont pas permis de réaliser.

Sans entrer dans les détails techniques du processus complexe du recyclage des plastiques, il est possible de rappeler que, dans la très large majorité des cas, plutôt que de parler de recyclage pour le traitement de ces 22 % de déchets plastique qui échappent à la décharge ou à l’incinération en France, il serait plus adéquat de parler de sous-cyclage. Prenons le cas des bouteilles d’eau transparentes en PET (polytéréphtalate d’éthylène), qui sont les véritables stars des poubelles jaunes pour l’industrie du recyclage. Au milieu des innombrables résines de plastique existant sur le marché, elles sont parmi les plus rentables, notamment parce que des infrastructures techniques performantes existent pour les transformer en matières premières secondaires. Toutefois, au sens strict, il n’est pas encore possible aujourd’hui de produire une « nouvelle » bouteille d’eau à partir d’une ancienne. Dans la plupart des cas, le « rPET » (le PET recyclé) est utilisé pour produire des fibres de laine polaire ou du mobilier de jardin. Des produits qui, à défaut de pouvoir être recyclés une fois arrivés en fin de vie, sont destinés à l’incinération ou à la décharge.

Si l’on peut aussi obtenir un PET recyclé de grade alimentaire, ce processus impose un nettoyage supplémentaire du PET d’origine et, parmi les bouteilles PET fabriquées « à base » de r-PET, le taux d’intégration de rPET oscille la plupart du temps entre 25 % et 80 %. Début 2018, Nestlé a bien annoncé la mise sur le marché d’une bouteille produite à partir de « 100 % de plastiques recyclés », mais sans préciser s’il s’agissait uniquement de rPET. À peu près au même moment, Emmanuel Faber, PDG de Danone, signait, lui, un partenariat avec la fondation Ellen MacArthur et le gouvernement français pour contribuer à réaliser cet objectif de 100 % de plastiques recyclés : parmi les annonces, la mise sur le marché de bouteilles d’Évian produites exclusivement à partir de rPET d’ici à... 2025 !

Parce qu’il reste plus profitable de vendre des bouteilles plastique parfaitement transparentes plutôt que des contenants grisâtres, les progrès à venir de l’industrie du recyclage sont attendus avec impatience. Mais le chantier est considérable. Hormis l’impératif d’améliorer la qualité des plastiques recyclés, il reste à inventer des procédés pour rendre recyclables les résines qui, pour l’instant, ne le sont pas (polystyrène ou PET opaque, par exemple). Les pratiques de l’industrie ne vont d’ailleurs pas toujours dans le sens des objectifs proclamés. Ainsi, les PET opaques, non recyclables, ont été récemment substitués aux PEHD (polyéthylènes de haute densité), recyclables, dans la fabrication des bouteilles de lait... pour des raisons de coût.

Et quand bien même nous saurions recycler tous les plastiques mis sur le marché, il faudrait avoir la capacité de les recycler sur place. En Europe, la transformation des déchets plastique est largement tributaire du grand export : sur les 8,4 millions de tonnes de déchets plastique dits recyclés (qui ne représentent d’ailleurs « que » 31,1 % de l’ensemble des déchets plastique collectés), près de la moitié le sont en dehors du territoire européen. Si jusqu’à l’année dernière, l’écrasante majorité de ces déchets étaient exportés vers la Chine, depuis les deux réformes du gouvernement de Xi Jinping fermant les portes à l’importation de certaines familles de déchet, un vent de panique souffle sur l’industrie du recyclage ; et les leaders mondiaux du traitement des déchets d’annoncer des investissements colossaux dans la filière industrielle du traitement des plastiques. Le vent de panique pourrait ainsi se transformer en opportunité de croissance : Antoine Frérot, PDG de Veolia, a annoncé le 5 octobre 2017 qu’il visait une multiplication par cinq du chiffre d’affaires de son groupe dans la production de plastiques recyclés d’ici à... 2025 ! 

Dans un article de la revue Science Advances paru en juillet 2017 qui a fait grand bruit, une équipe de chercheurs américains a estimé que, depuis 1950, nous avions généré à l’échelle globale l’équivalent de 6,3 milliards de tonnes de déchets plastique, dont seulement 9 % ont été effectivement recyclés. D’après les projections présentées dans cette publication, nous aurons produit plus de 10 milliards de tonnes de déchets plastique, pour atteindre, au mieux, un taux de recyclage cumulé de moins de 20 %... d’ici à 2025 !

Si l’on fait les comptes, et si l’on s’en tient aux mesures incitatives annoncées à l’échelle nationale ou européenne, recycler tous les plastiques à l’horizon 2025 restera donc certainement un vœu pieux susceptible d’éveiller chez certains des rêves d’éternité : une société capable de recycler tout ce qu’elle produit ne serait-elle pas promise à l’immortalité ? Parce qu’il semble hasardeux de trouver un jour le graal au bout d’une chaîne de recyclage, il reste possible, et indiscutablement urgent, d’inventer des moyens pour ralentir cette fuite en avant. 

Et si on réduisait vraiment nos déchets ?