Des lycéennes qui se coupent les cheveux devant un portrait du Guide suprême. Un journal télévisé piraté. Des foules réunies, de Tabriz à Téhéran, aux cris de « Mort au dictateur »… Voilà six semaines que l’Iran est secoué par une vague de manifestations inédites sinon par leur ampleur, au moins par leur nature. Car la mort le 16 septembre d’une étudiante de 22 ans, Mahsa Amini, après son arrestation pour « port de vêtements inappropriés », n’a pas seulement mis en lumière la brutalité et l’injustice de la police de la moralité. Elle a surtout mis le feu aux poudres et déclenché un mouvement sans précédent des femmes iraniennes, souvent très jeunes, contre l’oppression du régime. Dans de nombreuses villes, on a vu des manifestantes arracher leur hidjab, parfois même le brûler, en clamant « Femme, vie, liberté » sous les vivats des klaxons. D’autres protestations sont plus subtiles, comme ces portraits de martyres projetés sur les murs, ou ces fontaines publiques prenant la couleur du sang. Et le mouvement ne paraît guère s’essouffler, malgré la répression sanglante menée par les Pasdaran, bras armé de cette théocratie devenue, au fil des ans, une « thanatocratie », en guerre contre sa population comme avec le reste du monde – sauf, évidemment, la Russie, à qui elle prête ses drones semeurs de mort en Ukraine.

Ces étudiantes qui refusent de baisser la tête

Dans ce numéro du 1, nous revenons sur les origines de ce mouvement lancé par les femmes, dont Delphine Minoui retrace le long combat pour la liberté depuis 1979 et la prise du pouvoir par les islamistes. Son récit, passionnant, dessine les espoirs déçus et les désillusions amères de plusieurs générations d’Iraniennes, jusqu’à la révolte de ces étudiantes qui refusent de baisser la tête. Le reste du pays, lui, ne va guère mieux, épuisé par la répétition des crises et miné par les grands maux de l’époque – inflation, sécheresses et corruption. Et il lui en faudrait sans doute peu pour s’enflammer comme la prison d’Evin, cette sinistre bâtisse en partie incendiée le 15 octobre dernier.

L’image de cette Bastille en flammes suffit-elle pourtant à nourrir le rêve d’une révolution qui mettrait fin au régime des ayatollahs ? Difficile à croire, admet Farhad Khosrokhavar dans l’entretien qu’il nous a accordé, du moins tant que les jeunes qui luttent pour leur liberté ne sont pas rejoints en masse par leurs aînés. Mais la multiplication des grèves, ces derniers jours, dans des secteurs clés de l’économie du pays – énergie, pétrochimie –, pourrait servir de point de bascule vers une mobilisation plus large. Jusqu’à faire vaciller la République islamique ?