« Nos vêtements, notre consentement. » Sur l’affiche, des collégiennes forment ce slogan en assemblant chaque lettre inscrite sur une feuille, évoquant ainsi les collages pour dénoncer les féminicides qui ornent les murs de nos villes. Ces adolescentes sont vêtues de jupes, de pantalons colorés ou encore de joggings. Sur ces photos qui ne laissent pas voir de visages, seulement des silhouettes, un unique message : dénoncer les fausses excuses des auteurs de violences sexistes et sexuelles. Autour des images, des invectives : « Avec un décolleté pareil, elle s’attendait à quoi ? », « Quand tu sors comme ça, tu prends des risques »… L’affiche, sans nul doute, attire le regard. « Nous avons gagné le prix de l’académie de Créteil avec ce projet réalisé par notre club féministe l’année dernière », déclare avec fierté Anaïs Giroux, professeure d’anglais et référente égalité au sein du collège Langevin Wallon, à Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Depuis cinq ans, la jeune femme se rend régulièrement dans des classes pour attirer l’attention des collégiens sur les violences de genre.
Comment rendre audibles ces questions à de jeunes, voire de très jeunes publics ? Par quoi passe cette prévention aux violences sexuelles ? Pour Louise Delavier, directrice des programmes de l’association En avant toute(s), qui propose notamment des ateliers de prévention en milieu scolaire, l’important réside dans l’accueil d’une parole libre, hors du cadre scolaire. « Nous abordons des sujets difficiles et faisons en sorte que toutes les paroles soient entendues, en particulier celles qui portent le poids de stéréotypes sexistes. Parce que si des élèves le pensent mais ne le disent pas, on ne peut rien traiter. » Laisser toutes les paroles s’exprimer, oui, mais en délimitant un cadre clair et respectueux entre les élèves, tout en veillant à ce qu’ils ne parlent pas de leur vie privée afin d’éviter la diffusion de rumeurs. La responsable se souvient d’un atelier particulièrement difficile au sein d’un collège dans lequel étaient pourtant effectuées de nombreuses actions en faveur de l’égalité. Lors de la séance, de nombreux garçons, considérant que l’établissement en faisait « trop » à l’égard des filles et jugeant qu’elles avaient « tous les droits », se laissèrent aller à des remarques violentes. « Ç’a été l’une de nos interventions les plus difficiles », rappelle Louise Delavier. Mais ces séances, insiste l’animatrice, sont les plus efficaces. Auprès des collégiens de son établissement, Anaïs Giroux opte pour une approche différente. « Je commence toujours les séances de sensibilisation par des témoignages, faux ou anonymes, de victimes de violences. Il leur est alors difficile de ne pas éprouver d’empathie envers elles, ce qui permet d’aborder ces sujets de manière plus fluide », décrit l’enseignante. Ensemble, les élèves tentent alors d’apporter des solutions. « L’effet de groupe crée un climat serein et bienveillant », ajoute-t-elle. La déconstruction de préjugés sexistes s’effectue parfois aussi lors de cours ordinaires. « Dans ma matière, je suis assez libre pour faire mes cours, du moment que je les fais travailler sur des compétences linguistiques précises, dans un contexte de culture anglophone, explique la professeure d’anglais. En ce moment, je travaille donc avec mes classes de troisième sur la place des femmes dans le football en Angleterre. »
Éduquer, et pas seulement les jeunes
Mais la prévention des violences sexuelles dépasse le seul public de la jeunesse. Au centre Hubertine-Auclert, le centre francilien pour l’égalité femmes-hommes, des formations s’adressent aux professionnels au contact de jeunes, aux salariés des collectivités territoriales, aux forces de sécurité… « Au début de chaque formation, on revient sur l’enracinement des violences, puis sur le sujet spécifique de ces séances, dans lesquelles nous possédons une certaine expertise, comme les cyberviolences de genre », indique Aude Redolfi, responsable de la formation. Centre de ressources liées à l’égalité, la structure met à disposition des personnes présentes lors des formations de nombreux outils et oriente les professionnels auprès d’associations de terrain lorsque c’est nécessaire.
Un tiers des auteurs de violences sexuelles en ont eux-mêmes subi dans leur enfance
Chez #NousToutes, collectif militant féministe créé en 2018, on assume une sensibilisation de grande ampleur. « Nos actions passent principalement par nos réseaux sociaux – qui cumulent plus de 510 000 abonnés –, par nos formations en ligne ouvertes à toutes et à tous, et par l’organisation de manifestations », explique Maëlle Noir, bénévole et membre de la coordination nationale du collectif. Occuper l’espace public, digital et médiatique en mettant en avant des informations relatives à la lutte contre les violences de genre, telle est l’ambition de l’organisation. Face au silence qui entoure ces violences et au manque de moyens financiers alloués à leur éradication, les militantes brandissent des chiffres. Des chiffres blancs sur fond violet, couleur de la lutte contre les violences de genre. Le collectif assure ainsi un décompte quotidien des féminicides et tente de visibiliser ce constat, glaçant, selon lequel un viol aurait lieu toutes les deux minutes trente en France. Les membres ne se déplacent toutefois pas dans les entreprises privées ou les établissements scolaires pour dispenser des formations, et ce pour plusieurs raisons. « Nous sommes une équipe composée uniquement de bénévoles, nous ne voulons pas empiéter sur le travail d’autres associations, dont certaines sont professionnelles, et nous considérons que nous n’avons pas à combler le manque d’investissement financier de l’État dans cette lutte », affirme la militante. Dans une enquête réalisée par #NousToutes en 2021, il était démontré que deux tiers des lycées ne disposaient pas de référents égalité, bien que cela soit obligatoire. De même, selon le dernier rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes sur le sexisme en France, paru en janvier 2024, « 62 % des Français n’ont jamais suivi une seule séance d’éducation sexuelle et affective ». Depuis une loi de 2001, ces cours doivent être dispensés trois fois par an dans chaque établissement scolaire, de l’école primaire au lycée, mais l’application de ce dispositif est encore loin d’être effective.
Repérer les victimes pour prévenir les violences
Un autre aspect de la prévention de ces violences passe par l’identification des victimes. Alors que près d’un tiers des auteurs de violences sexuelles en ont eux-mêmes subi dans leur enfance, comment briser ce cercle vicieux ? Depuis plusieurs années, des professionnels de santé travaillent sur ces questions. Mathieu Lacambre, psychiatre du CHU de Montpellier, a conçu une « boîte à outils » de prévention des violences sexistes et sexuelles avec le Criavs (Centre de ressources pour intervenants auprès d’auteurs de violences sexuelles) du Languedoc-Roussillon. Ce support à destination des professionnels de la jeunesse appelé la « Boat » se présente sous la forme de 134 fiches classées selon plusieurs thématiques (compétences psychosociales, respect et différences, relation et sexualité, du virtuel au réel, compréhension et respect de la loi). « C’est adapté aux étapes du développement psychosexuel et affectif de l’enfant de 5 à 18 ans, donc plus efficace », explique Mathieu Lacambre. Ces outils, ajoute-t-il, favorisent la prise de parole d’enfants sur des faits de violences passés, que les adultes qui travaillent avec eux doivent savoir accueillir. Car la prévention des violences sexistes et sexuelles passe aussi par la protection des enfants. 160 000 d’entre eux seraient en effet victimes de violences sexuelles chaque année d’après la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Autre constat alarmant : un homme sur huit et près d’une femme sur cinq déclarent avoir subi des violences « para ou intrafamiliales » avant l’âge de 18 ans, d’après une enquête Virage réalisée par l’Ined en 2015. Soigner, accompagner ces victimes est essentiel. « Pour certains jeunes ayant vécu des faits de violence, celle-ci est le seul langage qu’ils connaissent », abonde Gabrielle Arena, psychiatre et coautrice de Ces hommes parmi nous : soigner les auteurs de violences sexuelles ? (Éditions du Détour, 2023). Il est également important, souligne l’autrice, d’accompagner les agresseurs afin d’éviter qu’ils ne récidivent. Briser, grâce à un suivi psychologique individualisé, le cercle de la violence, sans toutefois renoncer au nécessaire bouleversement de nos représentations liées au genre, sans lequel aucun changement pérenne et global n’est possible.