Les débats musclés que suscite la ferme dite « des mille vaches » traduisent la survivance des fantasmes et des contradictions que continue d’alimenter notre agriculture. D’un côté, les Français sont attachés à ce qui reste d’un ordre éternel des champs auquel on associe volontiers le rythme des saisons, la tranquillité du monde rural resserré autour de ses clochers, la geste ancestrale des labours aux semailles et aux récoltes sous les ciels d’été. D’un autre côté, la France – plus que les Français – s’enorgueillit de sa force de frappe agricole qui lui fait évaluer ses exportations de blé en équivalent Airbus. Depuis la Libération qui vit s’accomplir la double révolution de la machine et de la chimie pour doper les productions, cette modernisation à marche forcée n’a cessé de s’intensifier, au prix d’une chute de l’emploi et d’un accroissement des nuisances environnementales, d’un amoindrissement aussi de la variété de l’offre, sinon de sa qualité. Les crises agricoles qui se succèdent mettent en jeu ce que l’historien Fernand Braudel appelait « l’identité de la France ». Moderniser l’agriculture, mais à quel prix ? Ne va-t-elle pas devenir américaine, hollandaise, danoise ou allemande, alors que, dans ces temps de mondialisation, la physionomie de la France, ses « pays » et ses paysages que recherchent tant de touristes étrangers, sont au cœur de sa singularité ? Au-delà du prix du lait ou du cochon, le nœud de la discorde est là, qu’aucun dirigeant politique ou syndical n’a encore jamais tranché.
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« Nous payons le passage d’un modèle familial à un modèle capitaliste »
Aurélie Trouvé
Sommes-nous confrontés à une crise agricole comme nous en avons beaucoup connu ou à une crise majeure ?
Nous vivons une grave crise qui se détache nettement de ce que nous avons déjà vécu. Une crise dont je ne vois pas, dont personne ne voit du reste, comment nous allons l’arrêter. Il n’y a plus d’outils pour y mettre un terme au niveau français et européen. Il s’agit d’ailleurs d’une crise qui en recouvre d’autres : la crise du secteur laitier, la crise porcine, etc. C’est une crise de la dérégulation et du mode de développement. Ce qui est sûr, c’est que nous touchons aux limites d’un système et sommes acculés dans une impasse. Une intervention forte de l’État est nécessaire et une action au niveau européen.
[Calendrier]
Robert Solé
Tous les moyens sont bons pour se faire entendre. S’inspirant des rugbymen du XV de France, de jeunes agriculteurs posent nus dans leur calendrier. Après Les Dieux du stade, voici les dieux des champs. Les bénéfices de la vente vont à une œuvre caritative, mais l’objectif est de montrer une autre image de la profession. « Nous ne sommes pas des culs-terreux », dit un viticulteur de l’Yonne.