Une fourmi de dix-huit mètres
Avec un chapeau sur la tête,
Ça n’existe pas, ça n’existe pas.
Une fourmi traînant un char
Plein de pingouins et de canards,
Ça n’existe pas, ça n’existe pas.
Une fourmi parlant français,
Parlant latin et javanais,
Ça n’existe pas, ça n’existe pas.
Eh ! Pourquoi pas ?

Trente chantefables pour les enfants sages
© Gründ, 1945

Je berce mon fils en lui récitant des poèmes. Est-ce ma voix qui le charme, ou la musique des syllabes ? Une fois en maternelle, me rendra-t-il la pareille ? Parce que connaître des vers par cœur est une chance, soyez-en sûrs ! Pour la mémoire, bien sûr, indispensable à tous les enseignements. Mais aussi pour transporter à l’intérieur de soi de quoi se distraire du monde, ou le célébrer. On oublie trop souvent que l’imaginaire est à cultiver. Et que s’il est important de comprendre pourquoi la lune brille, les faits scientifiques rendent compte de notre émerveillement autant que ce court poème de Paul Claudel inspiré de mythologies orientales : « Dans la lune morte / il y a un lapin vivant ! » La phrase vous semble-t-elle absurde ? Elle a pourtant un pouvoir étonnant : si vous la retenez, vous ne pourrez plus regarder la lune de la même façon. Ainsi, les mots et les images obéissent à une logique imprévue, comme ce poème de Robert Desnos aux allures surréalistes. Il est extrait des Chantefables, rédigés par le poète durant la Seconde Guerre mondiale, avant sa déportation en camp de concentration. Des octosyllabes décrivent une fourmi invraisemblable, à laquelle le refrain « ça n’existe pas, ça n’existe pas » dénie toute réalité, jusqu’à la pirouette d’un dernier vers court et imparable. Faut-il y voir, comme certains, un message résistant crypté ? Ou se satisfaire du sourire qui nous vient à ce défi à ceux qui prétendent détenir une vérité ? Pour que nos enfants pas sages restent jeunes, donnons-leur des poèmes ! 

 

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