Pour faire entendre leurs voix, les citoyens n’ont jamais manqué de moyens. Des barricades de Mai 68 à la Marche des beurs en 1983, en passant par le « Manifeste des 343 salopes » (1971), nombreuses sont les initiatives ayant permis d’engager un dialogue avec les dirigeants et de peser sur la prise de décision politique. 

Qu’elles soient efficaces ou non, ces actions naissent la plupart du temps en réaction à un événement ou une situation particulière. Mais qu’en est-il d’un dialogue régulier entre gouvernants et gouvernés ? D’une démocratie plus participative ? En France comme ailleurs, des militants ont vu dans la révolution numérique la possibilité de solliciter davantage la population. À travers des initiatives comme Parlement & Citoyens, Avaaz ou encore Citizencase, ils tentent activement de replacer l’individu au cœur du débat démocratique. 

 

Parlement & Citoyens. Lorsque l’idée lui vient de créer Parlement & Citoyens, Cyril Lage est consultant en affaires publiques. Au contact des parlementaires, il prend conscience qu’il n’est pas le seul à regretter les lacunes du système. « Certains élus avaient envie d’impliquer davantage les citoyens dans la fabrication des lois, confie-t-il. J’ai donc décidé de créer un outil pour eux, reposant sur les principes de transparence, de participation et de collaboration. »

Son projet naît en 2013 sous le nom de Parlement & Citoyens. Sur cette plateforme en ligne, les parlementaires peuvent lancer une consultation auprès des internautes afin d’engager le débat. Un pari ambitieux dans un pays où la démocratie participative peine à dépasser l’échelle locale et où seulement 6 % des lois votées sont d’origine parlementaire. « Ce n’est pas parce que la situation est telle qu’il faut s’en satisfaire », insiste-t-il. 

Au moment du lancement, Cyril Lage a tenu à réunir sur sa plateforme numérique au moins un représentant pour chacun des cinq grands partis. « Après s’être posé la question, on a décidé de solliciter aussi le Front national car l’exclure signifiait ne pas prendre en compte une partie des Français dans notre projet », explique-t-il, en n’oubliant pas d’insister sur sa non-appartenance à un quelconque mouvement politique.

Les thèmes des consultations sont variés : interdire l’usage non agricole des pesticides, rendre publics les documents administratifs ou encore trouver un moyen de rendre la prison utile. Une fois le thème de la consultation présenté par l’élu sous la forme d’une courte vidéo, le processus se déroule en plusieurs phases : une discussion autour des causes et des solutions avec les internautes ; la synthétisation des arguments de cet échange par Cap Collectif, l’équipe en charge de la plateforme ; un débat de deux heures par visioconférence entre le parlementaire et huit citoyens sélectionnés, et enfin, le dépôt de la proposition de loi devant l’Assemblée nationale ou le Sénat.

« On ne change rien au fonctionnement institutionnel », explique Cyril Lage, qui ne critique pas le système démocratique mais cherche à l’améliorer. « Les lois s’élaborent à huis clos, entre élus et lobbyistes. Ce que nous proposons, c’est de rendre ce processus transparent et ouvert à tous. » Pour empêcher toute censure et garantir cette transparence, les arguments jugés inadéquats par le modérateur de la plateforme sont envoyés directement dans une corbeille ouverte, consultable par tous.

Pour Bertrand Pancher, député de la Meuse et vice-­président de l’UDI chargé des questions environnementales, une telle initiative améliore la démocratie mais ne suffit pas : « Pour aller plus loin, dit-il, je réclame la possibilité que les citoyens puissent saisir le Parlement. » Selon ce membre actif de la communauté Parlement & Citoyens, il faudrait donner aux pétitions une valeur institutionnelle, « comme c’est déjà le cas en Suisse ou au Québec ».

 

Avaaz. Même sans valeur juridique, la pétition en ligne peut parfois se révéler efficace. L’organisation Avaaz, mouvement citoyen mondial lancé en 2007 par l’Anglo-­Canadien Ricken Patel, en a fait son fer de lance. « Pour avoir un impact, elle doit tomber au bon moment comme avant un vote ou lors d’un scandale », explique Marie Yared, responsable des campagnes de mobilisation en France. « Et surtout, elle doit être accompagnée d’autres démarches : du lobbying auprès des décideurs ou de grandes marches citoyennes. »

Avec ses 4,3 millions de « membres » – incluant signataires, donateurs et bénévoles –, la France fait partie des pays les plus engagés derrière le Brésil (9 millions de membres). « Beaucoup sont des femmes et ont plus de 50 ans, explique Marie Yared. Avec le temps, les gens comprennent l’importance de peser sur les politiques et prennent conscience de l’impact que peut avoir leur voix. Les jeunes, de leur côté, sont peut-être sursollicités. »

Dernier grand succès en date, la marche citoyenne pour le climat, qui a eu lieu la veille de l’ouverture de la COP21, a réuni 785 000 marcheurs dans 175 pays, à l’occasion de 2 300 manifestations différentes. La jeune femme en parle avec fierté : « À ce jour, c’est la plus grande mobilisation pour le climat de l’histoire ! Elle a fonctionné parce qu’elle a permis à chacun de venir avec son propre discours. Avaaz est là pour faciliter la logistique, réunir les citoyens et les aider à diffuser leur message, pas pour se mettre en avant. »

 

Citizencase. Parmi les causes soutenues par ces nouveaux réseaux, la protection de l’environnement fait figure de chouchou. Sur la plateforme de financement participatif Citizencase, la plupart des appels aux dons lui sont dédiés. « Le crowdfunding s’adapte parfaitement aux questions environnementales », estime son jeune fondateur, Sébastien Vray.

En ligne depuis juin 2014, le site permet à des associations spécialisées dans la santé, les droits de l’homme et l’environnement de récolter des dons qui servent à financer une action en justice, et notamment à engager un avocat pour défendre une cause particulière. « En réunissant plusieurs personnes sous la bannière d’une association, on gagne en temps, en argent, et surtout en poids », explique Sébastien Vray, qui a par ailleurs créé avec quatre amis le premier bar écolo et électro de Paris, La Petite Chaufferie.

Sur sa plateforme, il cherche à recenser et porter le plus grand nombre de contentieux liés à l’écologie. « L’idée est de créer un réseau solide d’associations, où chacun pourra bénéficier de l’expérience et de l’expertise des autres, et éviter de retomber dans les mêmes pièges action après action. »

En un peu plus d’un an, Citizencase est parvenu à mobiliser 1 600 contributeurs à travers 12 levées de fonds, soit l’équivalent de 93 000 euros. La plateforme a déjà enregistré quelques succès, comme l’arrêt du défrichage de 40 hectares dans la forêt de Chambaran où doit être construit le Center Parcs de Roybon (Isère), après un jugement du tribunal administratif en août dernier. L’appel aux dons avait rapidement réuni plus de 12 000 euros grâce à 219 contributeurs.

Si ces nouvelles formes de mobilisation s’avèrent efficaces, chacune à son échelle, leur impact est d’autant plus marqué lorsqu’elles allient leurs forces. Après avoir récolté 120 000 signatures contre la contamination radioactive en Île-de-France, la plateforme de pétitions en ligne Change.org a envoyé un e-mail à tous les signataires, leur indiquant que la prochaine étape pour poursuivre le combat était la récolte de fonds. « En renvoyant les signataires sur Citizencase, Change.org a permis de récolter des milliers d’euros en quelques heures », relève Sébastien Vray.

 

Pour Cyril Lage de Parlement & Citoyens, toutes ces initiatives sont complémentaires : « Internet a créé un besoin, contraint le système et les pétitions en ligne ont ouvert des brèches à coup de boutoir. Là où elles agissent pour démolir des choses existantes, nous agissons pour reconstruire derrière. »

Ces trois initiatives citoyennes, parmi d’autres, prouvent que de nouveaux outils peuvent encore réenchanter la démocratie. Encore faut-il qu’elles ne se retournent pas contre le citoyen lui-même. Accusée de vouloir générer du profit plutôt que de servir les intérêts des populations, Change.org avait dû, en 2012, se défendre contre les attaques de médias et de blogueurs américains. Elle a depuis éclairci ses objectifs auprès de ses 123 millions de membres : combiner la perspective d’une organisation à but non lucratif avec les caractéristiques d’une start-up technologique. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !