Constantin Cavafis - Dans une grande colonie grecque, 200 av. J.-C.
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Que les choses n’aillent pas au mieux dans la Colonie,
il ne subsiste pas le moindre doute là-dessus,
et bien que nous continuions à progresser passablement,
il est peut-être temps , comme bien des gens le pensent,
de faire venir un Contrôleur pour restructurer l’État.
Pourtant l’inconvénient et la difficulté
avec ces Contrôleurs, c’est qu’ils font
des histoires à n’en plus finir
avec n’importe quoi. L’idéal serait que personne
n’ait jamais besoin d’eux. Ils s’enquièrent
du plus infime détail et passent tout au peigne fin,
et aussitôt se mettent en tête des réformes radicales,
en réclamant qu’elles soient appliquées sans délai.
En plus, ils ont tendance à imposer des sacrifices.
Renoncez à ces territoires ;
votre pouvoir y est chancelant :
c’est ce type même d’exploitation qui ruine les Colonies.
Renoncez ici à ce revenu,
et à cet autre qui y est afférent,
ainsi qu’à ce troisième : conséquence qui va de soi ;
ils sont certes substantiels, mais qu’y faire ?
ils vous créent des responsabilités néfastes.
Et plus ils avancent dans leur enquête,
plus ils trouvent de nouvelles dépenses à éliminer ;
comme si cela pouvait se faire aussi facilement.
Et quand, la chance aidant, ils auront achevé leur travail,
et qu’une fois tout passé en revue et tout disséqué avec soin,
ils s’en seront allés, empochant leur juste salaire,
nous verrons ce qui va rester, après
une telle rigueur chirurgicale.
Sans doute n’en sommes-nous pas encore là.
Ne nous pressons pas ; se hâter n’est pas une bonne chose.
Les mesures prématurées n’amènent que déconvenues. Bien sûr,
la Colonie présente quantité de désavantages regrettables.
Mais y a-t-il rien d’humain qui soit sans défaut ?
Et après tout, c’est vrai, nous continuons à progresser.
En attendant les barbares et autres poèmes, traduit du grec par Dominique Grandmont, Gallimard, 2003
© Éditions Gallimard, 1999, pour la traduction française
Une date suffit à Constantin Cavafis pour ressusciter une présence passée. Fi du lyrisme. L’auteur expose avec sobriété les réactions des hommes au monde qui change. Et l’économie de moyens rend plus sensible la dignité de leurs existences. Né et mort à Alexandrie, Cavafis (1863-1933) écrit en grec dans une Égypte sous domination britannique. Son œuvre consiste en 154 poèmes, pour la plupart jamais parus de son vivant. Le souvenir des étreintes masculines y côtoie les chroniques historiques. Ruelles mal famées, épisodes méconnus de l’histoire hellène : aux épopées glorieuses, le poète préfère le récit des périphéries. Mais ses vers dissidents ne trahissent aucun moralisme, aucune colère. Ils chérissent plutôt la beauté d’un corps qu’on se remémore. Leur ironie subtile est celle d’un sage qui connaît les défaites. Ainsi de cette colonie d’Asie Mineure en 200 av. J.-C. En situation de crise, un homme du peuple parle des technocrates. Le lecteur interprète ces propos rapportés. Chaque époque se nourrit de sacrifices injustes, de destinées cruelles. Dix ans plus tard, en 190 av. J.-C., l’armée romaine est victorieuse à Magnésie. Les barbares s’installent en Asie.
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