Cette idée d’une France « non réformable » m’a toujours profondément choqué. Elle illustre la tentation du renoncement de certaines élites promptes à théoriser sur le sujet. Je m’inscris en faux contre de telles dérives de l’esprit qui légitiment le recours tranquillement assumé à la dépense et à l’endettement publics. In fine, cette addiction à la facilité génère immanquablement explosion des impôts et chute de l’investissement public, lesquelles engendrent atonie et chômage de masse. Et un inévitable décrochage.

Idée funeste donc, et idée fausse, que celle d’une France irréformable. Notre pays a réussi, au moins partiellement, à engager certaines réformes. En termes de méthodologie, la poursuite et l’approfondissement du processus peuvent déjà s’appuyer sur l’important effort de pédagogie exercé depuis une ­décennie. Et il faut identifier les femmes et les hommes de talent et de conviction pour conduire toute action au service d’une vision ambitieuse.

1.Réformer, c’est déjà croire en sa propre capacité d’action plutôt que la nier ou la caricaturer. Loin de moi l’idée que nous n’aurions pas devant nous un immense chantier. Mais reconnaissons que la ­réforme est possible et inspirons-nous déjà de certains succès. Comme l’immense effort de privatisation, d’ouverture du capital ou de changement de statuts d’entreprises publiques telles que France Telecom, EDF, GDF… Ne négligeons pas non plus le cheminement opéré sur les retraites et l’assurance maladie. Insuffisant, certes, mais tangible. Une des leçons qui nous vient de l’entreprise est qu’il faut capitaliser sur ce qu’on a su faire pour aller de l’avant. Forts de la légitimité et de la confiance dans le bien- fondé des réformes, nous parviendrons à esquiver les pièges de la dramatisation que les professionnels du renoncement sont si prompts à exploiter.

2. Tâchons ensuite ­d’appréhender les réformes pour ce qu’elles sont : des leviers au service d’un projet politique, d’une vision. D’un dessein pour la Nation. La caricature facile qui transforme l’ambition réformatrice et le sérieux budgétaire du politique en une approche comptable étriquée, soucieuse de complaire à Bruxelles ou aux « marchés », est mortifère. Elle ne peut être dépassée que si le même acteur politique porte une vision et une ambition de long terme pour le pays. La réforme est un moyen et non une fin.

Les exemples ne manquent pas. Face à une lourde adversité, Barack ­Obama a réussi à mettre son « Obamacare » au service de l’intégration des laissés-pour-compte du modèle américain. Tony Blair, lui aussi, portait une vision forte de la modernité et du refus de la relégation de son pays dans la mondialisation. Gerhard Schröder, on le sait, a chamboulé une Allemagne perçue comme l’homme malade de ­l’Europe du fait des handicaps structurels qui minaient croissance, ­emploi et finances publiques après la réunification. ­Processus douloureux mais qui a fait de l’Allemagne une puissance dominante. Et je n’oublie pas les grandes avancées réformatrices au Canada, en Suède ou en Nouvelle-Zélande, ­notamment.

L’enjeu de nos ajustements est de refaire de la France une nation attractive pour les talents du monde, sur la base d’un modèle social équilibré et d’une organisation en phase avec les défis d’une économie mondialisée. L’ampleur et la dynamique des réformes en découleront naturellement.

3. À défaut d’avoir agi, notre pays a beaucoup débattu et presque tout diagnostiqué. Les transformations et adaptations requises sont identifiées via moult rapports et expertises. Dont l’excellent rapport Pébereau de 2005 sur la dette que j’avais initié en tant que ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie ; le rapport Attali ; et, plus récemment encore, le rapport Gallois et tant d’autres. À diagnostics limpides, réformes claires. La pédagogie est faite. L’action s’impose dans l’urgence.

4. Vision, cap, talents, conviction sont des pré­alables sachant qu’il ne peut y avoir d’exécution sans une approche équilibrée, un pilotage rigoureux.

– Outre la discipline, ­sachons imaginer les compensations – non monétaires – en cas de remise en cause d’avantages trop coûteux pour la société, par exemple dans le cadre d’une réforme équilibrée des professions réglementées. Et surtout du « New Deal » social permettant de sortir par le haut du régime des 35 heures pénalisant notre compétitivité. Pour ma part, je crois possible de combiner relèvement de la durée hebdomadaire et ­effort sans précédent de qualification et de ­formation.

– Comme en entreprise, le succès de l’exécution repose aussi sur le choix de ceux en charge de conduire le changement. La mission suppose courage et profond engagement personnel pour aller à la confrontation positive et rassurer face aux inquiétudes que génère le changement. Force est de constater que la classe politique n’a pas toujours été à la hauteur de ces exigences. Se sont disqualifiés de la course aux responsabilités ceux qui, depuis le début des années 1980 et y compris ces dernières années, n’ont pas agi en réformateurs et ont laissé filer déficits et endettement.

– Le vivier des hommes et des femmes de talent et de conviction est plus riche qu’on le croit. Je me réjouis du renouvellement politique qui se dessine à droite comme à gauche. Et me prends à rêver d’une combinaison entre générations montantes et élus expérimentés et courageux pour nous projeter enfin dans le xxie siècle.

Il me semble, pour conclure, que la plus grande urgence collective est de renoncer au renoncement. La France a parfois besoin d’être au pied du mur pour réagir. Mais elle réagit toujours et n’est jamais aussi grande que dans l’adversité. J’ai l’intime conviction que les conditions de l’éveil et du rebond sont réunies. Reste à définir un dessein attractif et enthousiasmant pour la jeunesse de France.

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