La dynamique du vote Mélenchon de 2017 était-elle fortement dépendante du contexte très particulier de cette présidentielle ou traduisait-elle une inflexion fondamentale de longue durée du rapport de force à gauche ? Au-delà de la dynamique incontestable de Jean-Luc Mélenchon (7 059 951 voix en 2017 contre 3 984 822 en 2012, soit près du double) et du succès plus relatif de la France insoumise lors des législatives (2 497 622 voix au premier tour, soit 11 % des exprimés et un total de 17 députés élus à l’issue du second tour), sur quelles bases ce mouvement politique peut-il capitaliser en vue des prochaines échéances électorales ? Les perspectives politiques lui permettront-elles d’endosser durablement le rôle de « principal opposant » à Emmanuel Macron ?

La géographie et la sociologie électorales permettent d’avancer quelques réponses. La dynamique électorale du vote Mélenchon de 2017 prend certes appui sur le socle posé en 2012, qui a été fortement consolidé en 2017, mais elle plonge ses racines dans la profondeur géographique du vote communiste sous la Ve République et même au-delà. Les départements où les pourcentages de votes en sa faveur sont élevés en 2017 sont des départements où les votes Marchais (1981), Lajoinie et Juquin (1998), Hue (1995 et 2002) et Buffet (2007) étaient également importants. Il y a même une dimension anthropologique, avec des territoires qui ont été des hauts lieux de la Résistance pendant la guerre : dans le Limousin (sur le plateau de Millevaches) ou dans le Vercors (près de 30 % de vote Mélenchon à Vassieux-en-Vercors, site du mémorial de la Résistance en Vercors). 

Le vote Mélenchon s’est fondu dans les territoires d’un communisme électoral qui semblait s’éteindre (le dernier candidat communiste à la présidentielle, Marie-George Buffet, n’avait obtenu que 1,93 % des suffrages exprimés en 2007). Il a redonné vie à un courant de contestation politique radicale à gauche : en Seine-Saint-Denis, par exemple, où Jean-Luc Mélenchon arrive en tête au premier tour avec 34,02 % des suffrages exprimés et où cinq députés de la France insoumise ont été élus (dont Alexis Corbière, Clémentine Autain et Éric Coquerel) tandis que Marie-George Buffet n’avait obtenu que 3,54 % en 2002. 

Le vote Mélenchon a construit sa propre dynamique en allant également « braconner » sur des terres socialistes, avec un succès sans doute durable (par exemple, dans les Landes où François Hollande obtenait 32,75 % des suffrages exprimés en 2012 et où Jean-Luc Mélenchon obtient 20,15 % en 2017). L’analyse géographique montre d’ailleurs qu’il s’agit plus d’un vote frontalement de gauche contre François Fillon que d’un vote de la « France ouverte » contre Marine Le Pen.

Concernant la question européenne, le vote Mélenchon de 2017 épouse davantage la géographie du « non » de 2005 que celle du « non » de 1992, comme s’il captait encore une partie du débat à gauche sur « une autre Europe ». Sociologiquement, les territoires du vote Mélenchon de 2017 recouvrent davantage qu’en 2012 la géographie du chômage mais toujours aussi peu celle des classes populaires, si l’on considère la part des ouvriers dans la population active. Mais cette conclusion ne se base que sur l’analyse des territoires.

Au niveau des électeurs, il n’en va pas de même : le lien entre vote Mélenchon et appartenance aux classes populaires ou aux classes moyennes est alors nettement plus important qu’au niveau des territoires. 

Selon l’enquête électorale réalisée par le CEVIPOF aux lendemains du premier tour, Jean-Luc Mélenchon a su attirer, davantage qu’en 2012, les votes des chômeurs (26,8 %), des classes populaires (25 % des ouvriers spécialisés du secteur privé), du salariat précaire (28 % des salariés en CDD et 27 % de ceux en contrat précaire, 24 % des temps partiels) et des jeunes électeurs (30 % parmi les 18-24 ans). La limite de cette importante évolution est double : d’une part, les catégories en question sont souvent diplômées et représentent davantage des classes moyennes ou moyennes inférieures déclassées (avec un bon niveau de diplômes, mais de faibles perspectives professionnelles) que des couches populaires ouvrières ; d’autre part, dans la compétition qui a opposé en 2017 Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen pour capter les votes des classes populaires et des personnes précaires, la candidate du FN est davantage parvenue à ses fins. Jusqu’à quand ? 

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