Qu’est-ce que le magnétisme et comment est-il pratiqué en France ?

Il existe des façons variées de pratiquer le magnétisme, mais tous les magnétiseurs ont en commun de travailler avec de l’énergie, qu’ils définissent comme un fluide magnétique, une entité subtile difficilement perceptible. Leur travail, selon eux, consiste à équilibrer, faire circuler cette énergie dans le corps, souvent à l’aide d’un pendule ou de « passes » pour aider les personnes qui les consultent à se sentir mieux.

Les sciences dures sont-elles en mesure de définir cette énergie ?

Non, et c’est d’ailleurs ce qui m’a intéressée. En travaillant sur ses marges, sur les pratiques qu’elle n’avait pas reconnues, j’ai cherché à mieux comprendre la science. Des chercheurs comme Yves Rocard, physicien normalien et père de Michel Rocard, ont tenté d’objectiver l’énergie, mais leurs conclusions n’ont jamais été considérées comme indiscutables.

À partir de quand la science s’intéresse-t-elle véritablement au magnétisme ?

Il faut remonter à la veille de la Révolution française. À l’époque, Franz-Anton Mesmer, un médecin allemand installé en France, s’intéresse, dans sa thèse, au magnétisme animal. Sa théorie, inspirée des travaux de Paracelse, un médecin du xvie siècle, est qu’il existe un fluide magnétique qui relie les êtres les uns aux autres, et qu’en modifiant ce fluide subtil, on pourrait soigner certaines maladies. Il met alors au point un baquet, une plateforme autour de laquelle des gens sont assis, reliés les uns aux autres par des cordes et des équerres en fer, et invite un magnétiseur à faire des passes. Certaines personnes entrent en transe, des archives pointent même des cas de guérison. Les médecins débattent : certains dénoncent un pur charlatanisme, d’autres estiment que, du fait de ces cas de guérison, il faut s’intéresser davantage à la pratique. Pour trancher, Louis XVI réunit une commission d’experts, composée de grands noms comme Lavoisier, Benjamin Franklin, Jussieu, Guillotin et Bailly, qui s’unissent pour lever le voile sur l’existence ou non du fluide magnétique.

Quelles sont leurs conclusions ?

Au départ, les commissaires se soumettent à l’exercice. Magnétisés, ils ressentent des fourmillements, des tremblements. Ils s’interrogent : est-ce notre imagination qui nous a joué un tour ? Si cela relève seulement de l’imagination, ils considèrent que cela n’a pas d’intérêt pour la médecine. À une époque où la séparation corps-esprit est beaucoup moins ferme qu’aujourd’hui, ils cherchent déjà à distinguer ce qui relève du corps et de l’imagination. À la suite d’un test en double aveugle dans lequel une femme, magnétisée sans le savoir, n’a aucune réaction, et une autre, convaincue d’avoir été magnétisée alors qu’elle ne l’a pas été, se met à convulser, ils classent officiellement le magnétisme dans la case du charlatanisme. Ce test, décisif, est à l’origine de l’interdiction de la pratique du magnétisme en France. La plupart des magnétiseurs entrent alors dans la clandestinité, sans pour autant disparaître.

Qu’est-ce qui change aujourd’hui ?

La pratique refait surface, légitimée notamment par des médecins qui se disent favorables aux thérapies complémentaires, à condition qu’elles aient une place juste dans notre société, c’est-à-dire qu’elles ne viennent pas remplacer des traitements comme la chimiothérapie. Bruno Falissard, membre de l’Académie de médecine, dit qu’il faut distinguer une efficacité statistique, obtenue par essais contrôlés randomisés en double aveugle, d’une efficacité clinique, qui prend au sérieux le fait que les gens, individuellement, affirment que le magnétisme les a soulagés. À l’époque, déjà, Jussieu avait produit un rapport minoritaire dans lequel il affirmait que si l’imagination produit ce genre de convulsions, c’est qu’il y a un intérêt à l’exploiter d’un point de vue médical. Son point de vue n’avait pas été retenu.

Sur quels éléments vous appuyez-vous pour affirmer que nous assistons aujourd’hui à une légitimation du magnétisme en France ?

Les statistiques n’existant pas, je m’appuie sur d’autres indicateurs. Premièrement, mon enquête montre que la manière de devenir magnétiseur a changé : on ne parle plus d’un don hérité, comme il y a cinquante ans, mais bien souvent d’une reconversion professionnelle dans laquelle le magnétiseur abandonne une profession reconnue. Une plongée dans les archives d’une association de magnétiseurs fondée en 1951 m’a aussi permis de constater que les procès pour exercice illégal de la médecine, extrêmement courant après la guerre, notamment à la suite de la création de l’Ordre des médecins sous Vichy, diminuent très nettement entre 1970 et 1980. Les procès concernent maintenant uniquement des cas très graves, de type abus sexuels ou incitation à arrêter un traitement médical au profit du magnétisme.

Comment expliquer cette légitimation ?

Pour échapper aux poursuites, les magnétiseurs ont pris soin de ne plus présenter leur pratique comme une thérapie alternative, mais plutôt comme une thérapie complémentaire. Ils ont aussi fait eux-mêmes la chasse aux charlatans, qui faisaient passer le profit avant le patient. Enfin, dans une volonté de légitimer scientifiquement le magnétisme, ils ont rejeté ce qui apparaissait comme trop ésotérique, à commencer par la médiumnité. Le magnétisme, ainsi, se professionnalise. Parallèlement, la division du travail faisant que les tâches de la médecine deviennent de plus en plus techniques et précises, les médecins n’ont plus le temps pour en accomplir certaines, comme d’écouter attentivement leurs patients. C’est donc grâce à la division du travail, invention de la modernité, que se libère une place pour les thérapies complémentaires, elles qui vont valoriser le patient en tant que personne.

L’attrait pour le magnétisme s’explique donc davantage par le besoin de valorisation que par une curiosité pour le magique ?

Oui. Dans mon enquête, les personnes qui se réfèrent à des magnétiseurs sont pour la plupart très rétives à tout ce qui paraît trop ésotérique. Le fait que les cabinets des magnétiseurs soient dépourvus de symboles ésotériques et ressemblent la plupart du temps à ceux des médecins les rassure beaucoup.

Peut-on établir un profil sociologique des magnétiseurs ?

J’ai réalisé des entretiens avec trente-deux d’entre eux. Leurs profils étaient variés, mais tous étaient éduqués : des ingénieurs, des restaurateurs, un pompier, un commandant de police, une avocate, une agrégée de lettres, une normalienne, professeure de chimie en prépa. Ils étaient autant d’hommes que de femmes, la plus jeune avait 27 ans, le plus âgé 87 ans. Ce sont, la plupart du temps, des personnes qui, lorsqu’elles ont commencé à pratiquer le magnétisme à la suite d’un événement énigmatique, ont dans un premier temps beaucoup douté de leur capacité, ayant grandi dans une société dite « naturaliste », selon la définition de Philippe Descola [soit une société qui, marquée depuis Descartes par l’opposition entre nature et culture, admet l’idée d’une continuité physique entre humains et non-humains, pareillement soumis aux lois de la matière, mais rejette celle d’une continuité subjective et intérieure, qui rendrait possible une communication entre eux]. On est loin du profil du rebouteux décrit dans les enquêtes de sociologie des années 1970, notamment celle de Marcelle Bouteiller.

Certains médecins hospitaliers encouragent désormais leurs patients à consulter un magnétiseur. Comment l’expliquez-vous ?

J’en ai rencontré plusieurs, notamment deux oncologues-radiothérapeutes en région parisienne. Chaque fois, des patients leur avaient demandé la permission d’aller consulter un magnétiseur pour tenter de soulager les effets secondaires sévères de la radiothérapie. Les médecins, sceptiques, avaient accepté, n’étant pas en mesure de leur proposer d’autres moyens de les soulager efficacement. Les patients ont tous vu leurs brûlures s’apaiser au contact d’un magnétiseur. « Je suis très saint Thomas, je ne crois que ce que je vois, et j’ai vu », m’a dit l’une de ces oncologues. Depuis, elle recommande à ses patients le magnétisme.

Quels liens tissez-vous entre la légitimation du magnétisme et la modernité ?

On lit souvent que la légitimation d’une telle pratique est synonyme d’un retour de l’irrationnel, de la fin de la science. Mon enquête m’a permis de conclure le contraire. Le magnétisme a d’abord été sujet d’un processus de « modernisation simple », comme pensé par le sociologue allemand Ulrich Beck : les magnétiseurs ont scientifisé leur propre pratique en réprimant ce qui apparaissait comme magique. Il est désormais sujet à un processus de « modernisation réflexive » : parce que la science se regarde elle-même, elle s’autocritique, prend conscience de ses limites (les effets secondaires de la radiothérapie, par exemple) et utilise ses propres outils (les statistiques et l’entretien) pour savoir comment pallier cette limite. La légitimation du magnétisme est donc la preuve que nous sommes encore profondément ancrés dans la modernité. 

 

Propos recueillis par MANON PAULIC

 

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