Vous êtes à l’initiative de la rubrique interactive « Dire, ne pas dire » du site Internet de l’Académie française. Quelle est la genèse du projet ?
L’Académie française paraissait indifférente à la vie de la langue française, à la manière dont elle était parlée. On m’a souvent dit : « Mais que fait l’Académie pour rectifier les choses ? » Ses membres n’ont aucune envie de passer pour des professeurs hargneux qui corrigent les fautes, mais il est du devoir de l’institution de dire ce qu’elle pense du bon usage de la langue. Face aux abus de langage, aux emplois fautifs et à l’introduction d’anglicismes, nous avons lancé l’idée d’un site interactif baptisé « Dire, ne pas dire ». Une ouverture vers les Français des plus bénéfiques ! À notre époque, ce dialogue ne peut s’accomplir que sur la Toile. 

Comment expliquez-vous le succès du site ?
Les gens adorent la langue française ! Nous recevons plusieurs milliers de courriers d’internautes chaque mois, sur des questions très pointues. Au début, elles portaient sur les imperfections de la langue ; maintenant, nous abordons de vrais problèmes grammaticaux qui soumettent le service du dictionnaire à une réflexion très dense. On pourrait réfléchir à une autre rubrique dans laquelle les internautes soumettraient leurs définitions avant que la commission du dictionnaire ne se mette au travail.

Cette interaction avec les internautes peut-elle faire évoluer la langue ? Le mauvais usage peut-il changer les règles ?
Nous répondons aux questions des Français dans le même esprit que celui de l’élaboration du dictionnaire, c’est-à-dire sans nous opposer aux évolutions du langage. Nous validons même des expressions argotiques lorsqu’elles finissent par avoir une pénétration suffisamment importante de la langue. On ne réfute pas certains mots anglais qui deviennent courants et je parierais que l’expression « best-of » entrera un jour dans le dictionnaire.

Quelles sont les fautes les plus communes ?
Les exemples pullulent dans la vie courante. Les médias s’en donnent à cœur joie, notamment en matière de création de verbes. Cette semaine, j’ai entendu sur France Culture le mot « permanentabiliser ». « Acter » revient souvent et il n’est plus circonscrit au langage juridique. Des anglicismes comme « impacter » deviennent banals. J’entends les gens dire « on se rewarde » ou parler de « replay ». Des erreurs de grammaire comme « il est sur Paris » sont fréquentes. Cela signifie pour moi que la personne survole la ville en hélicoptère. La langue française est pourtant suffisamment riche et belle pour fournir le mot juste.

Justement, possède-t-elle suffisamment de vocabulaire pour tout exprimer ?
J’ai lu récemment un rapport réalisé par les Anglais : ils s’étonnent du nombre limité de mots que compte la langue française par rapport à l’anglais qui en accepte beaucoup plus. Ils finissent par constater que cet amoncellement de mots venant d’Australie ou d’Amérique pollue la langue… et ils vont jusqu’à s’interroger sur la création d’une académie anglaise ! La langue française possède la capacité de préciser d’une façon extrêmement subtile les rapports entre les êtres et le sens des choses. On peut s’enorgueillir du fait que les élites parlent le français. Ce que l’on peut trouver dommage, c’est que la somme des mots utilisés par un « Français moyen » se réduise considérablement. L’éducation a aussi son rôle à jouer. 

Propos recueillis par ELSA DELAUNAY

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