On va inventer un Guantanamo ?

Ce qu’il faut défendre aujourd’hui, c’est moins la liberté dans l’abstrait que l’État de droit. Le pire serait d’imiter M. Bush.

Qu’entendez-vous par là ?

Assimiler ce qui est arrivé le 7 janvier au 11 septembre 2001 montre l’aliénation de ce qu’il est convenu d’appeler nos élites. Outre l’exagération factuelle, c’est le contre-exemple même ! C’est ce qui a légalisé la torture, qui a entraîné un certain nombre d’interventions militaires insensées qui ont exacerbé le djihadisme en lui donnant une base populaire, une légitimité anticoloniale. Je suis stupéfié quand je vois qu’on nous demande de réagir à l’américaine. On va inventer un Guantanamo ? On va faire Abou Ghraib ? On va faire du 9-3 un ghetto ? C’est un combat de civilisation, oui, mais on ne va pas le gagner en trahissant notre civilisation. Ne cédons pas aux réactions hystériques, émotionnelles et occidentalistes.

Que payons-nous ?

En France, beaucoup de choses : l’écroulement du PC, l’effritement du monde catholique, la fin de la conscription, l’opprobre jeté sur la nation et son histoire, tous ces piliers de la communauté imaginaire qu’est un pays. L’appartenance a horreur du vide. On paye à la fois des faiblesses et des lâchetés. Des lâchetés car à un certain moment, on n’a plus osé rester républicain, parler égalité et fraternité, et non de la liberté seule. C’était ringard, c’était vieillot. Il fallait être démocrate, multiculturel, californien, sympa. On paye la peur d’être différent des autres. D’assumer un certain héritage à la fois juridique, littéraire, politique. Une république, ça ne fonctionne pas au couple église-drugstore, mais au couple mairie-école. On a eu honte de ça. 

 

Propos recueillis par ÉRIC FOTTORINO

Extrait d’une interview publiée dans notre numéro du 19 janvier 2015, « Ils n’ont pas tué Charlie ! »

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