Ce matin de février le guichet France Services Paris Nord-Est affiche complet. « C’est tout le temps comme ça », lance Achour, un habitué de 44 ans, cramponné à ses deux béquilles. Ce livreur de nationalité algérienne a un pied dans le plâtre. Une mauvaise chute en déchargeant son camion. Il vient ici pour renouveler son titre de séjour. « J’ai reçu un mail de la préfecture à 9 h 30. Je n’ai rien compris, alors je suis tout de suite venu ici. » Depuis qu’il a découvert l’antenne il y a trois ans, Achour fait toutes ses démarches administratives dans cette petite structure gérée par l’association Pimms Médiation. Située entre les quartiers populaires de la Chapelle et la Goutte-d’Or dans le XVIIIe arrondissement parisien, elle fait partie des 2 700 points d’accueil France Services.

À l’issue du grand débat national, Emmanuel Macron avait promis la mise en place sur tout le territoire français de maisons de services au public accessibles pour tous à moins de 20 minutes de chez soi. L’idée, qui s’est concrétisée en 2021 sous la forme du label « maison France Services », était de faciliter l’accès aux services publics, en particulier dans les territoires ruraux.

Certains agents d’accueil semblent parfois eux-mêmes un peu perdus

Ici, dans le nord de la capitale, la structure existe depuis 2007. Elle a simplement changé de nom. Quatre agents accueillent chaque jour les habitants du quartier perdus dans les méandres de la bureaucratie française. « C’est sans rendez-vous mais il faut venir tôt parce qu’il y a toujours beaucoup de monde », explique Achour à un nouvel arrivant qui tente d’ouvrir la porte fermée à clé du local. Moussa vient tout droit de la caisse d’assurance maladie qui se trouve quelques kilomètres plus loin. Il n’arrive pas à remplir en ligne sa demande de carte Vitale, alors, on l’a envoyé à cette adresse.

L’avantage de ces structures, c’est qu’elles rassemblent onze services publics, parmi lesquels la CAF, la Poste, France Travail (qui a succédé à Pôle Emploi), les assurances retraite et maladie, mais aussi un point justice pour faciliter l’accès de chacun à ses droits. On peut donc tout aussi bien faire une demande de carte grise que d’allocations familiales ou poser des questions sur ses impôts. Le problème, c’est que certains agents d’accueil ne sont pas au point sur l’ensemble des démarches et semblent parfois eux-mêmes un peu perdus.

Achour n’a toujours pas reçu le récépissé de sa demande de renouvellement de titre de séjour. En conséquence, son employeur n’a pas prolongé son contrat de travail. Sa situation est urgente : il n’a plus de salaire et ne bénéficie d’aucune prestation sociale. Mais il semble compréhensif. « C’est à cause d’une dame nouvelle. Il y en a certains qui s’y connaissent moins que d’autres. Mais l’administratif, c’est compliqué », concède-t-il. Malgré l’affluence, les conseillères d’accueil semblent faire tout leur possible pour aider le public qui se présente à elles. L’une d’entre elles finit par expliquer qu’aucune personne supplémentaire ne pourra être reçue ce matin. Il faudra revenir cet après-midi. Elle prend le temps de demander à chaque personne qui se trouve dehors pourquoi elle vient, et de lui répondre en français comme en arabe.

Achour voudrait au moins pouvoir rentrer s’asseoir, il peine à rester debout. Mais la structure ressemble davantage à une salle d’attente exiguë qu’à un lieu d’accueil. Il n’y a pas de place. Il faudra patienter dehors jusqu’à la réouverture à 14 h 30. La porte se referme, et le monde continue à affluer. Entre les usagers, l’ambiance est bienveillante et solidaire.

Avec le tout-numérique, Achour est désarçonné

Une dame arrive le regard hagard. Elle s’adresse au groupe, munie d’un gros dossier rempli de papiers volants. Elle ne parvient pas à exprimer sa demande en français. Moussa lui répond dans sa langue. Ils s’assoient par terre, étalant devant eux une quantité non négligeable de documents. C’est pour une demande d’allocation familiale, Moussa a déjà effectué la démarche pour lui-même. Il renseigne la dame sur les justificatifs qui lui manquent et lui dit de revenir le lendemain avec son dossier complet. Ça fait une personne en moins dans la file d’attente qui s’allonge. Ils sont désormais une dizaine à patienter devant l’entrée.

À l’intérieur, on trouve un ordinateur avec une connexion internet en libre-service, un moyen de faire face à la fracture numérique. Mais personne n’y touche. « Les gens ne savent pas l’utiliser », explique Achour. « Moi, je ne touche pas à ça ! Il ne faut pas jouer avec le feu. » Le livreur n’arrive pas à faire sa demande en ligne. C’est un vrai casse-tête. « Avant, on allait à la préfecture, on attendait très longtemps, c’est vrai. Mais on parlait à quelqu’un qui prenait le temps et, à la fin, on ressortait avec notre récépissé. C’était magnifique ! » Avec le tout-numérique, Achour est désarçonné. Depuis qu’il vient dans le local de France Services, il se sent moins abandonné. Mais cela fait déjà trois fois qu’il revient pour le même problème. « Ils sont débordés et nous on est perdus. Ça crée du stress. » Malgré tout, Achour reconnaît qu’« il n’y a pas mieux que le contact humain ». Pour lui, France Services, « c’est mieux que rien ». 

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