En annonçant le 6 mars une grande simplification administrative qui reposera sur la suppression des formulaires Cerfa d’ici 2030 (qui seront préremplis à 80 % par l’administration dès 2026) et sur un allègement drastique du Code du commerce et de ses 7 000 articles, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a souligné s’il en était besoin combien la bureaucratie, avec ses excès normatifs, envahit et complique nos vies. Une décision louable qui répond à une critique formulée cette semaine dans le grand entretien du 1 hebdo par l’essayiste et romancier Gaspard Koenig : « Si nul n’est censé ignorer la loi, tout le monde doit pouvoir la comprendre. » Selon lui, la question bureaucratique « renvoie à une question de justice », la situation de chacun face aux administrations changeant radicalement selon, par exemple, qu’on est citadin salarié ou rural non salarié, donc éloigné des centres de pouvoir et d’information. Ce constat, tout un chacun peut le vérifier dans sa vie courante – même les citadins salariés connaissent leur lot de paperasse et de tracasseries parfois ubuesques.

Comment en est-on arrivé à cette prise de pouvoir de la technostructure sur l’individu, contraint de rentrer dans des cases ?

Si la bureaucratie, que l’on dit souvent tatillonne, est devenue prégnante dans nos sociétés modernes, sans doute est-ce le prix à payer pour l’extension de nos droits et prestations par un État qui contrôle ce qu’il (re)distribue. Et comme le souligne la politiste Béatrice Hibou, cette bureaucratie à l’ère néolibérale se caractérise par « l’essor de formalités, issues principalement du monde de l’entreprise managériale et financière, liées au développement du capitalisme ». Un phénomène reposant sur des « techniques venant du privé, au nom de l’efficacité économique et de la modernisation ». Voyant là un exercice de domination, Béatrice Hibou précise que « la dimension coercitive et violente du processus de bureaucratisation néolibérale ne peut être niée ».

Comment en est-on arrivé à cette prise de pouvoir de la technostructure sur l’individu, contraint de rentrer dans des cases ? L’essayiste et haut fonctionnaire David Djaïz voit la source de nos maux dans la volonté d’après-guerre de moderniser l’État à marche forcée, en créant des organisations beaucoup plus grandes. Et ce qui vaut pour le public vaut une fois encore pour le privé. Conséquence de ce gigantisme ? « La déresponsabilisation des travailleurs. » Une situation dangereuse où les administrés, niés dans leur singularité, deviennent des citoyens frustrés et désengagés du processus démocratique, tant ils sont suspicieux envers tout ce qui vient « d’en haut ». À quand une « société de la responsabilité » ? Il faut faire simple, dirait Gaspard Koenig. Il faut faire vite, aussi. 

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