Lobby : le mot est anglo-saxon, on aura du mal à n’en point convenir, mais la chose est universelle et remonte à la nuit des temps… Le lobby nomme le rassemblement des faibles contre les forts afin de leur faire rendre gorge. Il faudrait remonter aux temps de la horde primitive, dont Freud, spécialiste en science-fiction, nous raconte comment les choses s’y passaient comme s’il y avait vécu, vu que les inconscients de cette époque s’étaient selon lui télétransportés de façon phylogénétique jusqu’à lui et qu’il lui suffisait de se pencher sur le sien, qui n’était pas bien profond, pour y puiser matière à universaliser ses fantasmes. Il voyait en extralucide des meurtres du père et des banquets cannibales qui faisaient naître la Loi comme par enchantement. Freud fut un grand enfant qui amuse ceux qui le sont restés. 

On peut aussi, et c’est plus sûr, solliciter Darwin sur lequel ledit Freud a pas mal fantasmé, entre deux névroses professionnelles et la sienne. Disons pour aller vite qu’il y a lobbying quand deux êtres se liguent pour associer leur force, conjuguer leur ruse, additionner leur puissance, afin d’obtenir d’un groupe plus important et plus fort qu’eux qu’il se soumette à leur désir, à leur volonté, à leur loi. Affaire de testostérone et de marquage du territoire. 

Les philosophes du contrat social ont modifié la donne. Quand on parle contrat social, le chien de Pavlov salive Rousseau. Mais c’est oublier que le Genevois avait lu le Léviathan de Hobbes qui, lui aussi, connaissait très bien les deux ou trois maximes politiques d’Épicure qui fondent le contractualisme. Pour éviter la violence naturelle, donc la loi de la jungle qui est celle du lobby, le contrat permet de renoncer au pouvoir qu’a chacun de nuire à chacun par un pacte issu de la volonté générale – qui n’est pas somme des volontés particulières en tant que telles, mais somme des volontés particulières en tant qu’elles se déterminent en fonction de l’intérêt général. La démocratie est fondée quand la souveraineté se trouve ainsi produite. En régime démocratique, il n’y a pas de place pour le lobbying qui s’apparente alors à la revendication factieuse. 

Mais l’établissement de la démocratie n’abolit pas la formidable puissance de la nature qu’explicite si bien l’éthologie, ce serait trop beau ! En régime contractuel, le lobbying nomme l’activité de ceux qui, ne reconnaissant pas la logique contractuelle de l’intérêt général, font primer l’intérêt particulier de leur caste, de leur ethnie, de leur religion, de leur province, de leur classe sociale, de leur préférence sexuelle, de leur obsession personnelle : les usagers du rail ou les riverains d’un aéroport, les opposants à un barrage ou les ligues anti-tabac, la prévention routière ou la lutte anti-corrida, les producteurs de calva ou les amateurs de plug anal – le goût du plug n’excluant ni l’amour du chemin de fer ni la passion pour l’alcool fort… 

Les moyens d’action des lobbies peuvent être la persuasion et la rhétorique, il s’agit du libre exercice de la démocratie. Ce peuvent être aussi le bakchich et le cadeau, c’est alors le règne de l’oligarchie et de la ploutocratie. Ce peuvent être enfin les menaces et le passage à l’acte, nous sommes dès lors en régime mafieux. 

Le lobbying, c’est la volonté de faire primer l’intérêt particulier contre ­l’intérêt général quand ce dernier devrait faire la loi : plus le premier se montre fort, plus le second s’avère faible. Notre époque sans État est tout aux lobbies. Quand la République agonise, comme en ce moment, le pouvoir est aux meutes sans foi ni loi. Le lobbying est le retour de la bête dans un champ démocratique dévasté.   

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