L’image est un peu trompeuse. En accueillant le Sommet sur l’intelligence artificielle, troisième de ce nom, à compter du 6 février, la France pourrait donner l’impression de compter parmi les grandes puissances technologiques de la planète. Elle reste pourtant largement à la traîne dans ce domaine, comme l’ensemble de notre très vieux continent. Plus que jamais cette année, l’Europe paraît spectatrice dans l’ahurissante course à l’intelligence que se livrent Américains et Chinois, comme une réplique dans l’espace numérique de celle qui opposait jadis les États-Unis et l’URSS pour rejoindre les étoiles. Donald Trump avait ainsi cru taper fort en annonçant le projet Stargate dès le lendemain de son investiture, soit un effort de 500 milliards de dollars sur quatre ans pour construire une centaine d’hectares de data centers, créer cent mille emplois et asseoir pour de bon la domination américaine sur le secteur. Las ! Avec la sortie le même jour de DeepSeek, une application d’IA ouverte et nettement moins gourmande que ses homologues type ChatGPT, la Chine a fait valser les certitudes des géants de la Tech, et avec elles une part de leur valeur – le fabricant de semi-conducteurs Nvidia, première capitalisation boursière au monde, a même connu la pire baisse de l’histoire avec 590 milliards de dollars de cotation évaporés en un jour.

Plus que jamais cette année, l’Europe paraît spectatrice dans l’ahurissante course à l’intelligence que se livrent Américains et Chinois


Alors qui va finir par contrôler l’intelligence artificielle ? Les États-Unis ? La Chine ? Des acteurs privés ? À l’heure où va s’ouvrir la grand-messe parisienne, ce numéro du 1 hebdo explore les questions que pose la géopolitique de l’IA, pour mieux en comprendre les ressorts les plus complexes. Sans oublier, non plus, le versant le plus intime – et sans doute le plus inquiétant – de cette révolution numérique : est-ce nous qui contrôlons l’IA, ou l’inverse ? Car si l’on est loin encore des fantasmes d’asservissement à la Matrix, il y a des manières bien plus douces de passer sous la coupe des machines, comme le rappelle dans nos colonnes le mathématicien Cédric Villani, dans un texte vertigineux sur l’immixtion de la technologie dans nos vies. En 1974, l’écrivain Isaac Asimov, père des trois lois de la robotique en science-fiction, s’interrogeait déjà sur la longueur de laisse à donner aux machines : « Est-il préférable pour l’humanité de prendre des décisions qui aboutiront probablement à sa propre destruction, ou bien doit-elle s’en remettre au contrôle des machines pour son confort et son bonheur, au prix de sa liberté ? » Cinquante ans plus tard, le dilemme reste le même – la promesse de bonheur en moins, peut-être…