Une norme technique est un texte spécifiant les caractéristiques d’un produit et d’un processus. Les entreprises appliquent volontairement la norme car elle établit un « langage commun » entre les objets. La norme relative aux cartes bancaires, par exemple, permet de retirer de l’argent à différents distributeurs, même à l’étranger. La norme d’écartement des rails permet aux trains de circuler à travers plusieurs pays. C’est une condition de l’interopérabilité des objets. Dans le domaine de l’IA, ces normes concernent, par exemple, l’unité de mesure dans laquelle s’expriment les informations utilisées par l’IA : les algorithmes peuvent-ils communiquer entre eux ? Une autre norme concernera les semi-conducteurs, qui assurent le traitement des informations : pour pouvoir être insérés dans d’innombrables objets, de la voiture au téléphone portable, ils doivent avoir une taille et des propriétés spécifiques.

La norme peut exister de facto – parce qu’une entreprise domine un segment précis de l’économie – ou être rédigée par des instances formelles, comme l’Afnor en France, le CEN au niveau européen ou encore l’ISO à l’échelle mondiale. En ce qui concerne l’IA, étant donné que la normalisation au sein des instances formelles est un processus qui prend du temps, ce sont donc les entreprises de pointe, comme les Gafam, qui créent des normes de facto.

Étant donné que la normalisation au sein des instances formelles est un processus qui prend du temps, ce sont donc les entreprises de pointe, comme les Gafam, qui créent des normes de facto


Être l’entreprise ou le pays précurseur dans la création de la norme – on parle de « normalisation » – offre un avantage compétitif colossal : non seulement vous prenez de l’avance sur vos concurrents, mais en plus ce sont eux qui devront ajuster leurs produits aux vôtres. Au niveau des semi-conducteurs, par exemple, les États-Unis dominent le marché et imposent donc leur norme technique. La norme représente par conséquent un puissant outil d’influence économique. L’enjeu est tel que, dès 2016, l’administration Obama avait fait du développement des normes techniques l’une des priorités stratégiques de son plan relatif à l’IA. La Chine a fait de même un an plus tard.

Historiquement, quatre pays étaient largement dominants dans la normalisation des technologies de l’information et de la communication : les États-Unis, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. Mais la Chine joue un rôle de plus en plus important depuis une quinzaine d’années. Elle impulse la création de nouveaux comités techniques au sein de l’ISO, pour piloter les négociations sur différents sous-aspects de l’IA. Et, en 2020, pour la première fois, elle a déposé plus de brevets liés à l’IA que les États-Unis. Avec cette avance technologique, elle peut prétendre rédiger les normes et jouir d’avantages compétitifs significatifs. 

Conversation avec Hélène SEINGIER